Un court intermède en prose introduit la suite du livre. Le premier verset est un commentaire sur l’état d’esprit des interlocuteurs. La discussion ne reprend pas, car les amis n’ont plus d’arguments à opposer à Job. Comme nous l’avons vu, ce n’est pas que Job se croie sans péché, mais il ne sait pas quelle faute invoquer pour expliquer son épreuve. Il pense que Dieu lui doit davantage d’égards, du fait de sa vie de piété qu’il vient de décrire longuement. Il se justifie, et de ce fait donne tort à Dieu (verset 2).
Élihu apparaît maintenant, bien qu’il ait été présent pendant au moins une partie du récit précédent (verset 4). Il est tout autant indigné par l’état d’esprit de Job que par la dureté et le mutisme actuel des trois amis. Élihu, dont le nom signifie “C’est lui mon Dieu”, montre une colère qui n’est pas une manifestation de la chairÉphésiens 4. 26, mais une indignation parce que personne n’apporte dans cette scène la présence de Dieu.
Malgré sa vivacité, Élihu garde les convenances : il a attendu que les aînés aient fini de s’exprimer (verset 4). On peut y voir aussi une leçon spirituelle, car Élihu est porteur d’un message divin : bien souvent Dieu attend que nous soyons à bout d’arguments, que nous ayons, comme Jacob, cessé de lutterGenèse 32. 25-33. Dès lors, sa réponse et sa bénédiction nous parviennent généreusement.
Élihu est peut-être d’une tribu cousine de celle de Job (verset 2 ; 1. 1) Genèse 22. 21, et va s’exprimer de façon assez directe, même s’il a des choses difficiles à dire.
Pour bien comprendre le personnage d’Élihu, il faut garder à l’esprit les deux grands sujets qui parcourent le livre de Job.
Sur ce thème, Élihu est, semble-t-il, ce messager, type du Saint Esprit, que Job a ardemment désiré. Il apporte une vraie délivrance.
Élihu lie ces trois aspects dans son troisième discours (chapitre 36-37) qui sert d’introduction aux paroles de l’Éternel. Sur ce thème, malgré leur justesse et leur ton plus fraternel que celui des trois amis, les paroles d’Élihu ne sont pas toujours adaptées à la condition de Job. Sur le sujet de la souffrance chacun est souvent trop imbu de ses propres pensées : l’expression “ce que je sais” revient cinq fois dans sa bouche (versets 6, 10, 17 ; 33. 3 ; 36. 3).
Alors qu’Éliphaz fait appel à son expérience et revendique pour lui la sagesse de l’homme à cheveux blancs (15. 10), Élihu constate l’insuffisance de l’âge (versets 6, 7, 9, 15, 16). Il préfère s’en remettre directement à Dieu, vraie source de sagesse1 (verset 8). Il va donc plus loin que Job, qui considère la sagesse divine comme inaccessible, et qui se réfugie dans sa vie exemplaire (28. 21, 28). L’attitude d’Élihu est plus édifiante : il invoque Dieu, et s’en remet à lui pour être guidé. Il a attentivement écouté (versets 11, 12), montrant ainsi le caractère de “la sagesse d’en haut” Jacques 1. 19 ; 3. 17. L’écoute est la première vertu dans l’approche de celui qui souffre.
Les amis n’ont pas convaincu Job, et Élihu pense que c’est mieux ainsi (verset 13) : personne ne peut tirer vanité d’avoir été le plus fort2. Par son intervention, Élihu espère que Job se trouvera face à Dieu. Élihu a en effet le sentiment d’être poussé par l’Esprit (versets 18-20) : comme JérémieJérémie 20. 9, il ne peut retenir son message. Il parle “comme oracle de Dieu” 1 Pierre 4. 11. Suivant l’exemple de son Dieu, il veut s’exprimer de façon impartiale et sans flatter personne (versets 21, 22 ; 34. 19) Deutéronome 10. 17.
Élihu interpelle Job avec douceur par son nom3 (verset 1). Jésus se fera reconnaître de Marie de Magdala en pleurs en l’appelant par son nomJean 20. 16. Élihu se place en compagnon d’humanité (versets 4, 6) 4 : nous ne pouvons pas délivrer un message de la part de Dieu, si nous nous plaçons au-dessus des autres. Job avait demandé à Dieu de se souvenir qu’il était fait d’argile (10. 9), et Élihu ne s’estime pas différent. Christ lui-même a pris la condition humainePhilippiens 2. 7 ; Hébreux 2. 17. Élihu se veut rassurant (verset 7), face à son ami qui a tant de fois été effrayé par Dieu (9. 34 ; 13. 21).
Élihu veut parler avec droiture (verset 3). Il rappelle la prétention de Job qui contestait à Dieu le droit de l’éprouver (versets 9-11), estimant que ce sort était réservé à ses ennemis (13. 24 ; 16. 9 ; 19. 11 ; 30. 21). Il rejette l’idée de ce tribunal, évoqué plusieurs fois par Job, où Dieu pourrait être mis en cause (versets 12-13). Si l’homme est une argile façonnée par Dieu, peut-il contester face au divin artisanÉsaïe 45. 9 ? Il développera plus loin ce thème, qui sera repris par l’Éternel.
Mais Élihu n’est qu’un homme, avec certaines insuffisances. La façon dont il invite Job à parler au verset 5 paraît peu fraternelle. Il a l’air de dire que Job s’était proclamé sans péché (versets 8, 9), mais était-ce réellement la pensée de Job ? Pourquoi oublie-t-il de souligner tous les élans de foi de Job ? Pourquoi faut-il attendre les versets 6 et 7 pour discerner chez lui une certaine sensibilité face à la détresse humaine ? Toutefois, malgré ces faiblesses, il apportera le message de la grâce.