Le long monologue de Job (chapitres 27-31) se divise en deux parties introduites chacune par l’expression “Job reprit son discours sentencieux” (27. 1 ; 29. 1). Il s’agit d’un discours particulièrement solennel, qui commence par un serment (verset 2).
Job a le sentiment que Dieu ne lui a pas fait justice (verset 2), et que ses amis ont des raisonnements malhonnêtes (verset 5). Pourtant il appelle à témoin Dieu lui-même, et veut persévérer dans le chemin de la droiture. Job tient ferme (verset 6) et ne croit pas en Dieu pour les avantages qu’il peut en retirer. Il ne cède pas à la logique de ses amis, auxquels il reproche de tenir de fausses affirmations pour justifier l’action de Dieu (verset 4 ; comp. 13. 7).
Les propos de Job paraissent empreints de suffisance, quand il proclame son innocence. Pour bien les comprendre, ne perdons pas de vue sa situation, et le contexte de la discussion avec ses amis1. Quand Job soutient son intégrité (verset 5 ; 31. 6), il ne veut pas dire qu’il s’estime sans faute. Mais il ne se souvient pas d’une défaillance grave qui justifierait ses épreuves (verset 6). Malgré tout, ses paroles ont un caractère excessif qui provoquera la répréhension d’Élihu (33. 8, 9).
Celui qui accuse Job est comme celui qui condamne le juste : il est en abomination à l’ÉternelProverbes 17. 15. Job espère en Dieu, trouve son plaisir en lui et l’invoque à tout instant : l’impie a une attitude inverse (versets 7-10). Job veut ainsi démontrer son innocence.
Continuant sur le même ton, un peu sûr de lui (verset 11), Job décrit à son tour le désastre qui atteint le méchant. On est étonné de le voir acquiescer à la thèse des amis. Il ne semble pas qu’il soit ironique comme peut-être à la fin du chapitre 24. Une phrase explique son raisonnement : “pourquoi entretenez-vous ces vaines pensées ?” (verset 12). Job connaît, tout autant que ses amis, le sort final du méchant. Mais il leur reproche de se servir de cette constatation pour l’assimiler à un impie. Il s’est suffisamment démarqué des méchants pour savoir que son sort présent n’a rien à voir avec le leur.
Ce paragraphe démontre les limites de la sagesse humaine. Ces versets introduisent la nécessité d’une autre source de sagesse, celle de Dieu, célébrée à la fin du chapitre 28. L’épée, la famine, l’épidémie2 (versets 14, 15) auxquelles s’ajoutent parfois les bêtes féroces (5. 20-22), symbolisent le jugement divinÉzéchiel 14. 21. Il arrive aussi brutalement que l’ouragan (versets 20, 21), et dépouille celui qui amassait les biens (versets 16-19). Quand le malheur s’abat sur l’homme méchant, tout le monde l’abandonne et le chasse (versets 22, 23). Parfois nous nous appuyons sur des ressources matérielles ou humaines que nous croyons sûres !
Ayant constaté la vanité de la méchanceté et de la richesse, Job se tourne vers le génie humain. Cette recherche annonce celle du prédicateur dans l’Ecclésiaste, que la quête amène tour à tour de la richesse au travail, à la folie, aux plaisirs… pour conclure que rien n’en vaut la peine : tout est poursuite du vent.
Acquérir les choses rares et précieuses de ce monde demande une activité inventive extraordinaire, “l’occupation que Dieu a donnée aux fils des hommes pour s’y fatiguer” Ecclésiaste 3. 10. Job est un homme cultivé : il connaît l’extraction des minerais de fer et de cuivre, les puits de mines, les activités agricoles, l’exploitation des gisements de pierres précieuses, les terrassements, la construction de canaux et les travaux de drainage. Ce texte d’une très belle poésie révèle que les découvertes des temps modernes nous font parfois oublier les réalisations remarquables de l’antiquité. La lecture de ces descriptions nous rend modestes.
En définitive, même si l’homme explore tout, il ne découvre pas la sagesse ardemment désirée. Job ne s’exprime pas en termes négatifs à propos des inventions. Il cherche sans doute plutôt à mettre à néant la prétention de vouloir tout expliquer. Ce chapitre 28 est donc à prendre comme une parabole : par cette parenthèse, Job suggère que le mystère de la souffrance dépasse les explications de ses amis.
Le livre des Proverbes nous invite à acquérir la sagesse, l’intelligence et la vérité comme des biens précieuxProverbes 3. 13, 14 ; 4. 7 ; 23. 23. Pour Job, la sagesse est même introuvable (versets 11-14) et n’a pas de prix (versets 15-19) Proverbes 16. 16. Autrement dit, toute recherche est vouée à l’échec. De ce point de vue, Job annonce la perspective du N.T., qui affirme : “le monde, par la sagesse, n’a pas connu Dieu”. La sagesse est cachée pour l’homme, et il a fallu que Dieu la révèle dans la personne de Jésus Christ, qui est lui-même la sagesse de Dieu. Il est aussi notre sagesse1 Corinthiens 1. 21 à 2. 10.
La sagesse est une façon raisonnable et sobre de penser et de se conduire, tandis que l’intelligence désigne la compréhension, en général sous la direction de l’Esprit. Où les trouver, alors qu’un voile demeure sur nos yeux et notre cœur naturels (versets 20, 21) ? Pour celui qui reconnaît Christ comme le Seigneur, le voile est ôté2 Corinthiens 3. 16 !
Si la vie a un côté factice, il y a dans la mort au moins une réalité. Personne ne peut plus tricher devant elle. La perspective de la mort fait souvent réfléchir l’insouciant et l’amène à penser à Dieu : c’est la “rumeur” de la sagesse (verset 22). Mais Dieu désire beaucoup plus pour l’homme : il veut faire jaillir en nous l’espérance et la réalité de la vie, par Jésus Christ.
Job a fait le tour des prétentions humaines, celles de ses amis. Pour lui, Dieu seul est la source de la sagesse. Elle est éternelle comme lui (versets 24-27), affirmation reprise par SalomonProverbes 8. 22-31. Job ne saisit pas les raisons du malheur qu’il traverse, mais il est persuadé que Dieu comprend ce mystère (verset 23). La sagesse nous dépasse : elle est visible dans les œuvres de Dieu en création, mais elle nécessite la révélation divine (verset 27).
Essayons de comprendre pourquoi cette réflexion remarquable n’a pourtant pas apaisé Job à ce moment-là. Job sait qu’il ne mérite pas la condamnation qu’énonce la froide théologie des amis (chapitre 27), et il n’a pas la prétention d’expliquer l’inexplicable (chapitre 28). Il a la modestie de ne pas se livrer à des spéculations, mais il manifeste sa soumission par la révérence envers Dieu et par une vie séparée du mal (verset 28) Psaume 111. 10 ; Proverbes 1. 7 ; 14. 16. C’est une attitude clé, mais seulement dans la mesure où Dieu est connu comme un Dieu de grâce. Job croit certes à la bonté de Dieu (14. 15 ; 23. 6), mais il pense sans doute que cette bonté est due à son comportement respectueux et intègre, qu’il décrit dans ce verset 28. Le voilà enchaîné dans un cercle sans fin : se conduire d’une manière digne de Dieu pour gagner sa faveur et acquérir la sagesse, que l’on sait par ailleurs inaccessible… Job ne peut que sombrer dans l’amertume des chapitres 29 à 31, jusqu’à ce que la lumière de la grâce inconditionnelle de Dieu brille pour lui dans les paroles d’Élihu.
Tout, depuis le salut de notre âme jusqu’à la réalisation d’une conduite selon Dieu, est le fruit de sa grâce. Nous sommes-nous personnellement saisis de cette grâce que nous avons trouvée en Christ ? Nous suffit-elle chaque jour ?