Après le discours amer de Job, il était difficile d’ouvrir la bouche, et on comprend l’hésitation d’Éliphaz (verset 2). Il se sent comme obligé de réagir, parce qu’il est un homme d’expérience. Il parle de ce qu’il a vu et examiné attentivement dans sa vie (4. 8 ; 5. 3, 27 ; 15. 17), et partage une révélation personnelle qu’il a reçue (4. 12-21). Ce caractère le rend sympathique, d’autant qu’il commence par rappeler les vertus et le dévouement de Job (versets 3, 4). Malheureusement sa sympathie se limite à ces trois premiers versets. Éliphaz a des accents de dignité et d’authenticité, mais présente une vérité qui n’est pas adaptée à la situation de Job. Il déclare que la souffrance est une conséquence du péché, insinuant que Job a des fautes à confesser. Ses reproches voilés vont devenir, au fur et à mesure de ses discours, de véritables accusations, qui sont reprises avec plus de virulence encore par les deux autres amis. Jamais Éliphaz ne reconnaît la foi dont Job a fait preuve, et que Dieu n’a pas ignorée (1. 22 ; 2. 10). Jamais il ne dit à son ami qu’il souffre sincèrement avec lui.
Éliphaz rappelle l’aide que Job a pu apporter aux découragés (versets 3, 4). Mais il s’étonne (verset 5) de ce qu’après avoir prêché aux autres, et les avoir secourus, il succombe. Veut-il le stimuler ou est-ce un reproche d’hypocrisie ? Il lui suggère de se rassurer en considérant sa vie antérieure exemplaire (verset 6), incitant Job à s’appuyer sur sa piété et non sur Dieu, ce qui sera pour lui un piège. C’est comme s’il lui proposait de se confier dans la religion. Il est difficile de comprendre la question d’Éliphaz au verset 6 :
En tout cas, quelle douleur pour Job d’entendre cette question, qui évoque pour nous la moquerie adressée au Sauveur sur la croix : “Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même” Marc 15. 31.
Pour Éliphaz, le péché donne naissance à la souffrance. Cette thèse est présentée ici succinctement, et sera détaillée plus tard, ainsi que dans d’autres portions de l’Écriture (verset 8) Osée 8. 7 ; 10. 13 ; Galates 6. 7-8. Mais Éliphaz fait ici deux erreurs :
Retenons une leçon du comportement d’Éliphaz, ce croyant qui pourtant avait “vu” beaucoup de choses dans sa vie : si nous voulons à tout prix appliquer aux autres l’expérience que nous avons faite personnellement avec Dieu, nous risquons de n’apporter aucun secours, et même de blesser. Seule la consolation divine que nous avons reçue peut être partagée2 Corinthiens 1. 4.
Éliphaz raconte ici une vision qu’il a eue, probablement pour renforcer le point de vue qu’il vient d’exprimer. Dieu a révélé sa pensée à plusieurs hommes par des rêves qu’eux-mêmes ou d’autres ont eus. Citons entre autres AbrahamGenèse 15. 12, JosephGenèse 37. 5, 9, GédéonJuges 7. 13, NebucadnetsarDaniel 2. 28, Joseph le mari de MarieMatthieu 2. 13 ; Élihu (33. 15) le considère comme un mode habituel de communication de Dieu. Aujourd’hui Dieu s’en sert toujours, mais dans nos pays la grande majorité des hommes savent lire, et sont responsables de se laisser instruire par l’Écriture, qui n’était ni complète ni répandue dans ces temps anciens.
Éliphaz est effrayé (versets 14, 15), comme plusieurs qui ont eu des visions de Dieu, tels Abraham, Manoah ou Ésaïe. Certains d’entre eux comme Éliphaz (verset 16), ManoahJuges 13. 16 ou les femmes devant le Christ ressuscité, n’ont pas reconnu d’emblée de qui il s’agissait. C’est par sa voix que le messager divin se révèle, “léger murmure” pour Éliphaz, “voix douce, subtile” pour Élie dans la caverne1 Rois 19. 12. N’est-ce pas touchant que ce Dieu si grand et terrible s’approche avec tant de douceur pour parler avec les siens ? Lui laissons-nous la possibilité de le faire au milieu de notre vie agitée ?
Éliphaz a retenu de cette vision le message suivant : l’homme est pécheur et ne peut atteindre la pureté divine par lui-même (verset 17). N’est-ce pas un message essentiel, que nous avons parfois tendance à oublier au cours de la vie ? Si même les anges ne peuvent prétendre à la perfection vis-à-vis de leur Créateur, à combien plus forte raison l’homme (versets 18, 19).
La fragilité de la condition humaine est rappelée par plusieurs expressions :
Nous reconnaissons la valeur de ces affirmations bibliques, et Éliphaz y avait certainement réfléchi attentivement. Mais Job souffrait d’un ulcère douloureux et avait perdu en une journée tous ses biens et ses enfants : avait-il besoin d’une dissertation sur le caractère éphémère de notre vie ?