Interpellé par les dernières paroles de Job, Tsophar se sent pressé de répondre. Il est rempli de lui-même, comme en témoignent ces mots : “mes pensées”, “mon esprit”, “mon intelligence” (versets 2, 3). Il pense sa réponse inspirée, sans percevoir que son ami vient de parler par l’Esprit de Dieu.
Le mot clé de Tsophar, c’est “de tout temps” (verset 4) : il fait de ses propres pensées une vérité générale. Ne sommes-nous pas souvent persuadés d’avoir raison en dépit de tout ? Il développe dans le reste du chapitre la pensée que Dieu intervient directement pour juger le méchant (versets 15, 23, 28, 29).
Tsophar fait une double erreur : il oublie de répondre à la demande de pitié de Job (19. 21), et il estime nécessaire de défendre Dieu par une théorie, qu’il pense irréfutable. La crainte de Dieu qui le fait parler n’est pas animée par l’amour : son discours révèle qu’il oublie combien il a besoin de la grâce pour lui-même. Si le respect de Dieu, même le plus profond, n’est pas accompagné du sentiment de la nécessité de la miséricorde divine, il produit, chez le croyant, une sévérité excessive et une réelle injustice. Ce chapitre le démontre et clôt tristement les interventions de Tsophar.
A la rigueur, Tsophar admet que le méchant puisse prospérer pendant une courte durée (versets 5-7), mais Job n’était pas un impie comme il le suggère. Job a décrit la brièveté de la vie humaine en général (7. 10 ; 14. 10). Tsophar en reprend les termes, mais en les appliquant au méchant (versets 7-9). Il sous-entend que Job s’est complu à mentir (versets 12-14) Proverbes 20. 17, qu’il s’est acquis malhonnêtement des biens en opprimant les pauvres (versets 15-21). Pour lui, les terreurs dont Job se sent assailli (15. 21 ; 18. 11) sont envoyées par Dieu (versets 23-25). Alors que la situation de Job est dramatique, il semble lui prédire pire encore (verset 24) Amos 5. 19, et en particulier la colère divine (verset 28). Cet homme ne sait pas que Dieu, même dans la colère, se souvient de la miséricordeHabakuk 3. 2. Maintenant que l’œuvre de Christ est accomplie, la justice de Dieu a été satisfaite à la croix, et le croyant n’aura plus jamais à faire face à la colère divineRomains 8. 1.
Job a le douloureux sentiment qu’on ne l’écoute pas réellement. Il ne supporte plus ce flot de paroles et de démonstrations péremptoires qui se prétendent consolantes (2. 11 ; 15. 11). Job préfère être en face d’une oreille attentive et bienveillante (verset 2). Cette fausse consolation de ses amis l’a déçu et blessé (verset 34 ; 16. 2). Mais sa plus grande douleur, c’est de ne pas comprendre Dieu : sa plainte s’adresse à lui et non pas aux amis (verset 4). Il est conscient de manifester de l’impatience (verset 4 ; 6. 3, 26), mais trouve aussi que ses amis auraient dû être plus sobres en paroles (verset 5). L’énigme de sa souffrance reste troublante pour Job (verset 6), et il ne sera apaisé que lorsque Dieu viendra à lui.
Job interroge (voir ses nombreux “pourquoi”) et n’obtient pas de réponse. Ses questions peuvent se regrouper en quatre catégories :
Bien des hommes sans relation avec Dieu vivent dans une abondance qui met en défaut la théologie limitée des amis de Job. Contrairement à leur affirmation, la descendance de ces méchants est prospère (verset 8 ; comp. 18. 19). Ils ne désirent pas connaître les pensées de Dieu et s’imaginent que l’on peut vivre sans lui (versets 14, 15 ; 22. 17). Ils pensent que Dieu ne sait rien d’euxPsaume 73. 11. Parce que Dieu n’exécute pas immédiatement sa sentence contre leurs mauvaises actions, ils se confortent dans le malEcclésiaste 8. 11. Ils ont une vision intéressée de la foi : pour croire, et surtout pour prier, il faudrait en tirer un certain profit (verset 15). Satan avait la même conception lorsqu’il pensait que Job avait la foi uniquement à cause des bienfaits de Dieu (1. 9). Hélas, cela peut devenir aussi l’attitude du croyant qui s’éloigne de son DieuMalachie 3. 14. Job refuse une telle vie insouciante, et prend ainsi l’attitude du juste (verset 16) Psaume 1. 1.
Job fait preuve dans ce chapitre d’un équilibre remarquable. Bien qu’il soit sans réponse devant les voies de Dieu, il ne laisse pas libre cours à l’amertume, et n’exprime pas le désir de mourir comme précédemment. Il formule son incompréhension sans obliger Dieu à lui répondre. Il vient de dire dans les premiers versets qu’il n’est pas d’accord avec ses amis, et pourtant il admet qu’il y a une certaine vérité dans ce qu’ils pensent. En effet en disant : “combien de fois la lampe des méchants s’éteint-elle ?” (verset 17), il reconnaît que le châtiment peut quand même atteindre ces derniers. Il accepte qu’il y a des choses inexplicables qu’il faut attribuer à la souveraine sagesse divine (verset 22). En cela il est bien plus respectueux de Dieu que ses amis qui cherchent à le défendre à tout prix.
Job examine une supposition : si les méchants sont épargnés de la tempête du jugement (verset 18) Psaume 1. 4, leurs enfants la traverseront. Cette pensée était sous-entendue dans plusieurs des discours des amis. Pour Job il est impensable de prouver la justice de Dieu de cette façon, car le coupable ne serait alors pas mis en face de sa faute (versets 19-21). Cependant, si nous demeurons toujours responsables personnellement de nos actions devant DieuRomains 14. 12, il reste vrai que, selon les principes de son gouvernement, certains de nos manquements peuvent avoir des conséquences terrestres pour d’autres. Comme AsaphPsaume 73. 3-10, JérémieJérémie 12. 1 ou HabakukHabakuk 1. 13, Job est obligé de constater que le sort présent des hommes est souvent sans rapport avec leur état moral (versets 23-26). Le méchant n’est pas toujours réellement mis en face de la vérité (verset 31), et par surcroît des funérailles grandioses lui sont accordées (versets 32, 33). La réponse à ce problème se trouve au-delà de la mort, car le sort éternel du croyant sera un bonheur dont l’intensité n’aura d’égale que celle du malheur des méchantsLuc 16. 25.
Job met à nu les pensées de ses amis : leurs propos sont empreints de calculs pour faire rentrer Dieu dans leur schéma et pour humilier Job (verset 27). Job fait appel à ceux qui voyagent (verset 29), alors qu’Éliphaz se fie aux sédentaires du village (15. 18, 19). Bien souvent nous avons la vue étriquée, parce que nous n’avons pas assez de contacts variés, qui nous aideraient à distinguer ce qui est essentiel de ce qui est peut-être une simple habitude dans notre vie chrétienne.