Le dernier discours d’Éliphaz est le plus virulent. Il veut à tout prix mettre Dieu hors de cause. Dieu est tellement grand qu’il n’a besoin de personne (verset 2). Éliphaz pense même que le comportement des hommes n’affecte pas Dieu (verset 3), opinion excessive partagée par moments par Job (7. 20) et Élihu (35. 6). Il vaudrait mieux dire, avec l’évangile, que Dieu n’est pas redevable à l’homme de sa bonne conduiteLuc 17. 9. Mais de nombreux textes de l’Écriture montrent que Dieu est affligé par le péché des hommesGenèse 6. 6 ; Juges 10. 16. De même, le début de notre livre est la démonstration par excellence que Dieu éprouve du plaisir à constater la droiture de l’homme (1. 8 ; 2. 3) Actes 10. 35.
Devant les grandes difficultés que traverse Job, Éliphaz maintient que Dieu est bien trop grand pour être concerné par les détails de la vie. Le désir de Job de maintenir sa propre intégrité lui paraît une iniquité. Comme Éliphaz ne peut imaginer que Dieu puisse éprouver les fidèles (versets 3, 4), il en tire la conclusion définitive que Job est gravement coupable. On est loin de l’exhortation de l’évangile : “Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés” Matthieu 7. 1.
Éliphaz ne se contente plus d’affirmations générales concernant les méchants, comme dans ses précédents discours. Il accuse Job ouvertement d’un certain nombre de péchés, de façon entièrement gratuite. Dieu avait donné à Satan un témoignage absolu sur Job (“parfait et droit, craignant Dieu et se retirant du mal” : 1. 8). Aurait-il pu le proclamer si Job s’était rendu coupable des divers méfaits décrits dans ces versets ?
Job est accusé d’un comportement antisocial dans les versets 5 à 11. Il est décrit avec une attitude implacable, sans miséricorde dans les relations humaines : refusant l’aide matérielle aux démunis, écrasant les faibles, opprimant injustement. Ces péchés sont condamnés par la loi de MoïseExode 22. 24, et par les prophètesÉsaïe 58. 3-7. Nous pourrions nous-mêmes oublier la charité, vertu essentielle que déjà les premiers chrétiens perdaient de vueJacques 2. 15 ; 1 Jean 3. 17. Job réfutera point par point tous ces faux témoignages (29. 12 ; 31. 5-21) : en vérité c’était un homme de bontéÉsaïe 57. 1. Si Job est rempli d’effroi et ne sait plus où il en est, c’est pour Éliphaz un jugement de Dieu sur ses péchés accumulés (verset 10). Au lieu de dissiper cette angoissante idée de la terreur divine qui avait déjà effleuré Job (9. 34), il l’enracine dans son esprit. C’est comme s’il lui disait : tu es égaré, et tu ne t’en rends même pas compte (verset 11).
A ces reproches va maintenant s’ajouter dans les versets 12 à 20 l’accusation de blasphème. Job avait en effet déclaré qu’il ne comprenait pas l’apparente indifférence de Dieu. Éliphaz lui fait un véritable procès d’intention : pour lui, Job a dit que Dieu ne voit rien, ne sait rien de ce qui se passe sur terre. Job aurait mis en cause l’omniscience et la souveraineté divines. Il prête même à Job la pensée mesquine que Dieu ne voit pas à travers les nuages (versets 12-14). Il lui attribue donc des propos qu’on trouve dans la bouche des impiesPsaume 73. 11. Il fait peut-être allusion aux hommes vivant avant le déluge, qui traitaient Dieu sans respect (versets 15-17). Éliphaz se désolidarise énergiquement de cette attitude (verset 18), qui se retrouvera hélas même au sein du peuple de DieuSophonie 1. 12. Il est prêt à se réjouir de la calamité qui est tombée sur Job, car il y voit le triomphe de la justice (versets 19, 20). La justice de Dieu sera d’ailleurs satisfaite lorsque les méchants seront condamnésPsaume 2. 4 ; Proverbes 1. 26.
Ce paragraphe contient une lueur d’espoir : Éliphaz envisage que la situation de Job n’est pas totalement désespérée. Il souhaite au fond le bonheur de son ami. Il est le seul des trois amis à avoir émis cette pensée.
Ses dernières paroles sont un appel au salut et à la communion avec Dieu, mais elles supposent que Job est en rébellion contre Dieu. Éliphaz conserve une vision légaliste : il invite Job à se réconcilier avec Dieu, à “faire”. Paul supplie l’homme “d’être réconcilié” 2 Corinthiens 5. 20, c’est-à-dire d’accepter que la réconciliation est l’œuvre de Dieu qui a tout accompli.
Revenir vers Dieu, garder ses paroles dans le cœur et abandonner le chemin du péché (versets 21-23) sont la description d’une authentique conversion. Les valeurs matérielles ne sont alors plus à comparer avec la connaissance du vrai Dieu (versets 24-26). Le croyant se tourne désormais vers son Dieu par des prières qui peuvent être exaucées car elles correspondent à la volonté divine (versets 27, 28) 1 Jean 5. 14, 15. Dieu répond à un esprit brisé1, et il peut même épargner d’un jugement immédiat le méchant en réponse à la prière du juste (verset 30). De manière saisissante cette parole d’Éliphaz s’accomplira à la fin du livre quand Job priera pour ses amis (42. 8).