Le chagrin de Job est comme un poids immense qui s’est abattu sur lui (verset 2). A ses yeux cela justifie ses propos exagérés (verset 3) : il a compris les remarques d’Éliphaz, mais les refuse. Il va en développer la vraie raison au chapitre 7, et il l’annonce ici (verset 4) : il se croit l’objet des attaques de Dieu1. Ne nous arrive-t-il pas de croire que Dieu est contre nous, alors que l’Écriture affirme le contraireRomains 8. 31 ? Si nous nous laissons assaillir par des doutes sur l’amour de Dieu, la peur s’installe en nous, et nous cherchons à nous défendre, comme le fera Job. Ces flèches empoisonnées ne viennent pas de Dieu, mais du diable qui veut faire vaciller notre foiÉphésiens 6. 16.
Les bêtes ne se plaignent pas quand tout va bien (verset 5), et l’homme sait distinguer ce qui est agréable de ce qui ne l’est pas (verset 6). N’ai-je pas raison de me lamenter, semble dire Job, dont la vie est devenue insipide (versets 6, 7). Il renouvelle sa demande de mourir : s’il disparaît tout de suite, cela lui évitera de renier Dieu2 (versets 8-10).
D’un côté il faut souligner ce beau désir de Job de rester fidèle jusqu’au bout. D’un autre côté prétendre n’avoir jamais renié Dieu, n’est-ce pas de la propre justice ? Cet homme accablé tient des propos contradictoires : en proie à la frayeur devant Dieu (verset 4), Job se rassure par sa propre piété, qui devient alors un obstacle à la connaissance de Dieu (verset 10). Le croyant dans la douleur a de la peine à saisir les projets de bonté de Dieu pour lui.
Job aurait voulu connaître l’issue de l’épreuve (verset 11). Le croyant est invité à être patient quand sa route est obscure : “quiconque… n’a pas de lumière, qu’il se confie dans le nom de l’Éternel et s’appuie sur son Dieu” Ésaïe 50. 10. Malgré son irritation, Job a appris qu’il n’y avait pas de force en lui pour supporter tous ces malheurs (versets 12, 13). C’est un heureux constat, mais il y apparaît encore un certain dépit : Job aurait aimé être fort par lui-même jusqu’au bout. Il n’avait pas encore appris à dire comme l’apôtre : “quand je suis faible, alors je suis fort” 2 Corinthiens 12. 10.
Job était pieux, mais il ne s’était peut-être pas vraiment trouvé dans la présence de Dieu. En revanche il était dans la présence de ses amis, c’est-à-dire que leur opinion et leurs paroles avaient beaucoup d’importance à ses yeux. Ne lui ressemblons-nous pas, souvent ?
Il ressent durement le manque de compassion de ses amis, et il les rend en partie responsables de son irritation contre Dieu (verset 14). Quand un croyant est défaillant, n’avons-nous pas tendance à le montrer du doigt ou à lui faire des reproches plutôt que de nous approcher dans une attitude empreinte de miséricorde ? N’oublions pas que la sympathie affaiblit bien des fiertés. Job compare ses amis à des rivières intermittentes, qui suscitent chez les voyageurs assoiffés de grands espoirs bientôt déçus (versets 15-20). Pour Job, ses amis sont effrayés par sa situation et ont peur d’être sollicités matériellement ou de prendre devant Dieu le parti d’un homme qui aurait péché (versets 21-23). Devant notre Seigneur aussi, les hommes détourneront leur visageÉsaïe 53. 3.
Job est prêt à écouter les autres, mais les accusations dont il est l’objet lui semblent sans fondement (versets 24, 25). Il suggère à ses amis de ne pas trop prendre garde à ses discours3 : il leur demande de ne pas s’arrêter à un mot de désespoir en trop (verset 26) Ésaïe 29. 21, car il est persuadé d’être juste et droit (versets 27-30).
Si la réponse de Job à Éliphaz a des accents bouleversants, elle est hélas aussi pour lui l’occasion d’affirmer sa confiance en sa propre justice (versets 10, 29).
Job aborde maintenant le sujet de la brièveté de la vie et parle de l’intensité de ses souffrances physiques. On peut considérer que son discours s’adresse encore à Éliphaz dans les 6 premiers versets, puis à Dieu à partir du verset 7, bien que des thèmes communs se retrouvent dans les deux paragraphes.
Job trouve que la vie est dure et remplie d’attentes comme celle de l’employé qui espérait toucher son salaire en fin de journée (versets 1, 2) Lévitique 19. 13. Nous passons très souvent nos journées, nos semaines, voire nos années, à attendre “qu’il se passe quelque chose”, et nous vivons, comme Job, des déceptions successives (verset 3). Nous avons besoin d’apprendre à être satisfaits dans les circonstances présentesPhilippiens 4. 11. Dans le cas de Job, le chagrin était accru par une intense souffrance physique, qu’il espérait voir s’atténuer. Au contraire, tout allait en empirant, et des nuits d’insomnies et de cauchemars succédaient à des journées de démangeaisons horribles (versets 3-5). Dans ces conditions, Job trouvait que sa vie était en train de s’en aller plus vite que la navette du tisserand.
Au milieu de ce désespoir, un cri touchant s’élève vers Dieu : “Souviens-toi”, cri souvent entendu dans la bouche des fidèles de l’A.T. En écho à cet appel, le Psaume 78. 39 nous donne la réponse : “Et il se souvint qu’ils n’étaient que chair, un souffle qui passe et qui ne revient pas” Psaume 89. 48 ; 103. 14. Job se sent pressé de parler parce qu’il pense qu’il va bientôt mourir (versets 8-11). Il s’adresse directement à Dieu.
Job reproche à Dieu de le considérer comme quelqu’un qu’il faut brimer, au lieu de le soulager (versets 12-14). La faiblesse physique de Job est la cause de violents cauchemars. Job rend Dieu responsable de ces visions effrayantes. Job a raison de dire que Dieu est derrière la scène, mais il lui prête de mauvaises intentions. Dans ces conditions, Job souhaite à nouveau la mort (versets 15, 16) : il en a assez d’être observé par Dieu (“tes yeux” verset 8, “laisse-moi” versets 16, 19).
Loin de se réjouir de la proximité divine, il s’en irrite, comme il va l’expliquer dans les versets 17 à 21. « Puisque je ne suis qu’une vapeur, et que je vais mourir, pourquoi t’occupes-tu de moi ? » demande Job à Dieu. En posant la question “qu’est-ce que l’homme ?” Job demande des comptes à Dieu. Il est loin de l’exclamation étonnée et reconnaissante d’un DavidPsaume 8. 5 ; 144. 3, dont la prophétie saluera par avance Christ, le Fils de l’hommeHébreux 2. 6. Mais au milieu de sa révolte, la foi de Job brille malgré tout : il pense que c’est le cœur de Dieu qui se soucie de lui (verset 17).
Le mot clé est alors prononcé : “J’ai péché”. Mais au lieu d’être une vraie repentance (de quelle faute, d’ailleurs ?), cette affirmation est plutôt le constat personnel irritant de sa condition humaine. Job ajoute “que t’ai-je fait ?” comme si tout péché n’était pas une offense contre Dieu d’abord, comme si du haut de son ciel Dieu n’était pas concerné par le péché de ces êtres de poussière. Le Dieu qui se suffit à lui-même n’est pas remis en cause par le péché de l’homme, vérité qui sera reprise par Éliphaz et Élihu (22. 2, 3 ; 35. 6). Mais tout doit être d’abord mis à nu devant lui pour que Dieu puisse oublier, comme Job semblait le souhaiter (verset 21). Job ne connaissait pas encore la vraie signification du pardon, et c’est pourquoi il ne se supportait plus lui-même.
Malgré ces questions qui volent vers Dieu, Job termine peut-être par une lueur d’espoir : il pense que Dieu ne pourra pas s’empêcher de le chercher. Il lui faudra encore bien des étapes pour découvrir que cette recherche patiente est, de la part de Dieu, pure bienveillance et amour sans condition.