Pendant 20 années, un voile de silence a recouvert la famille de Jacob. De même, depuis 20 siècles, Dieu a mis de côté son peuple terrestre : “un endurcissement partiel est arrivé à Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations soit entrée” Romains 11. 25. Le voile est donc mis sur le cœur de cette nation, “mais quand elle se tournera vers le Seigneur, le voile sera ôté” 2 Corinthiens 3. 16. C’est ce que, en figure, ce récit va nous apprendre. Dieu va s’occuper d’eux en grâce, mais aussi en justice. Par des tribulations successives et croissantes, ce peuple affligé depuis longtemps déjà va être conduit à confesser son crime, et ce Messie qu’ils ont retranché mais qui a payé pour eux, apparaîtra pour leur délivrance.
Les frères de Joseph se regardent les uns les autres (verset 1). Bien des choses devaient se passer dans leur cœur pendant ce temps d’épreuve, propice à la réflexion. Selon les voies de Dieu, la famine les conduira à descendre en Égypte pour y être éprouvés. Jacob envoie donc ses dix fils, tous coupables, et garde auprès de lui Benjamin, sur qui s’est reportée sa profonde affection après la perte de Rachel et de Joseph : “de peur qu’un accident ne lui arrive”, dit Jacob. En fait, Dieu l’a décidé ainsi à cause de l’innocence de ce dernier fils. Ces dix hommes paraissent devant Joseph ; vingt ans auparavant, ils étaient remplis de jalousie et de haine, et s’étaient levés pour outrager leur jeune frère faible et sans défense. Ils sont maintenant sans ressources et dans le besoin, et se prosternent devant lui la face contre terre (verset 6).
Mais Joseph aime ses frères. Ce n’est pas pour lui le jour de la vengeance ; il ne fera pas non plus étalage à leur égard d’une générosité gratuite ; il est juste. Et ces deux qualités vont être mises en exercice pour produire dans l’âme de ses frères un profond et salutaire jugement d’eux-mêmes, une délivrance de leur misère morale, et une heureuse restauration.
Joseph voit ses frères prosternés devant lui et se souvient de ses songes. Il n’avait qu’à prononcer son nom, et les dix coupables auraient reconnu avec une grande frayeur que la parole de Dieu était vraie. Mais à quoi cela aurait-il servi ? Il va plutôt s’employer à toucher leur conscience par un langage apparemment sévère, mais dicté par l’amour ; il accuse injustement ses frères d’être des espions. Les frères de Joseph s’en défendent : ne sont-ils pas tous fils d’un seul homme ? Ils sont d’honnêtes gens et viennent pour acheter des vivres (verset 10) ; ils ont l’argent pour payer. Vous avez dit : “honnêtes gens” ? Avez-vous oublié votre mauvaise renommée (37. 2), votre conduite inique (38. 1-30), la tuerie de Sichem (34. 25-31), le crime envers votre frère (37. 18-35), l’épée dont vous avez transpercé l’âme de votre père ? N’est-ce rien pour vous, tout cela ? Sans y faire allusion, Joseph va faire revivre dans leur conscience tout ce passé.
Joseph les cerne par son interrogatoire, et les oblige à se dévoiler. Ils font d’abord allusion au plus jeune fils resté auprès de leur père, et cet aveu sera mis à profit par Joseph pour achever leur travail de conscience lors du dénouement. Ils parlent ensuite de ce frère qu’ils ont vendu comme s’il n’existait plus, comme s’il avait disparu de leur vie. Il faut maintenant qu’il réapparaisse ouvertement dans leur conscience, et que leur cœur jadis dur comme pierre soit bouleversé. Ces dix “honnêtes gens” sont donc emprisonnés trois jours. Ils n’ont pas besoin d’explications pour admettre pendant ce temps de réflexion qu’ils sont bien coupables (verset 21). Leur péché n’a pas été effacé par le temps : ils commencent à le confesser entre eux, premier pas vers la repentance. De plus, leur cœur devient enfin sensible, et leur propre détresse leur rappelle ce qu’a pu être celle de leur frère lorsqu’il demandait grâce, et Ruben accentue leur remords ; le travail de Dieu est commencé. Joseph en est un maître artisan ; il connaît les pensées de Dieu. Ses frères, s’ils ont eu la surprise d’entendre parler de la crainte de Dieu (verset 18) par le gouverneur de ce pays idolâtre, devront reconnaître la sagesse d’en haut chez cet homme. Joseph est aussi un homme au cœur sensible ; nous le verrons souvent pleurer (verset 24), mais il ne se fera pas encore reconnaître ; il faut pour qu’il se révèle, que le passé soit jugé.
Siméon est lié ; deuxième de la famille, il était responsable après Ruben de ce qui s’était passé à Dothan en l’absence du premier-né. Il a également le temps, au fond de sa prison, de se remémorer la tuerie de Sichem. Mais tout en retenant Siméon, Joseph charge ses frères d’une abondance de blé, et fait replacer leur argent dans leur sac. Il les éprouve aussi de cette manière, en alternant la dureté et la sévérité avec la prévenance. La découverte de cet argent au caravansérail, puis à la maison (versets 28, 35), remplit ces hommes d’effroi. Placés dans la lumière de Dieu, ils ne sont pas à l’aise. Ils l’avaient convoité, cet argent, lorsqu’ils avaient retiré chacun deux pièces de la vente de leur frère ; il brûle leurs doigts maintenant. Puis les fils de Jacob rendent compte à leur père de leur voyage et de leur entrevue avec le “seigneur du pays”. Leur discours, juste par ailleurs, dénote que le travail intérieur salutaire n’a fait que commencer en eux.
Pour Jacob, ce vieillard, la discipline se poursuit aussi, très éprouvante. Après la séparation de Joseph, la famine survient, puis la captivité de Siméon ; et maintenant on veut lui prendre Benjamin : “Toutes ces choses sont contre moi” ! Il nous faut souvent du temps pour comprendre que Dieu est toujours pour nous, quelles que soient les apparences. “Mon fils ne descendra pas avec vous” dit Jacob (verset 38) en parlant de Benjamin. “Que votre jeune frère vienne ici”, avait dit Joseph (verset 15). Il faudra bien que Jacob le laisse aller, car Joseph fait tout dépendre de sa venue.