La famine pèse sur le pays de Canaan ; l’épreuve se prolonge car il faut qu’elle porte son fruit. A mesure que les sacs de blé se vident, l’anxiété doit croître dans cette famille. Tous savent bien que pour ne pas succomber à la famine, il faudra paraître à nouveau devant “cet homme”. Juda est déterminé (verset 8), mais il faut que Jacob se décide à se séparer de Benjamin. Le temps s’est écoulé, et chaque jour ce vieillard a dû penser à ce que le seigneur de l’Égypte exigeait : quelle torture morale ! Il n’ose pas rappeler cette injonction, lorsqu’il invite ses fils à retourner pour acheter “un peu de vivres”. Même sans Benjamin, ils obtiendront peut-être quelques sacs de blé. Non, dit Juda ; il a eu à faire à l’homme du pays, et sait bien qu’il n’est pas question de transiger avec lui.
Jacob est donc mis à l’épreuve, mais il se débat intérieurement, il tergiverse avec ses fils (verset 6). On comprend son angoisse à la pensée de perdre peut-être un troisième enfant, l’enfant de sa vieillesse, dira Juda. Ruben (42. 37) et Juda cherchent à le convaincre ; leur cœur est enfin ému devant la souffrance de leur père, mais leur engagement présomptueux ne saurait convaincre Jacob, qui sait ce que valent les promesses de l’homme. Il mesure aussi l’insignifiance de ses fils en face de l’homme tout puissant de l’Égypte.
Cependant la pression de Juda est décisive ; il prend la parole dans une période encore plus angoissante, car il n’y a plus de réserves. Peut-être se souvient-il, sans l’avouer, de sa culpabilité à l’égard de Joseph : c’est en effet lui qui avait proposé de le vendre. Il est prêt maintenant à prendre la responsabilité de ramener Benjamin ; il répond de lui devant son père.
Le ferme discours de Juda a convaincu Jacob ; celui-ci s’incline (verset 13) ; mais il veut rassembler les meilleurs produits du pays pour se concilier les grâces de “l’homme”. Pourtant, n’avait-il pas fait maintes fois l’expérience de la pleine suffisance du Dieu tout-puissant dans les circonstances les plus difficiles ? De plus, qu’étaient ces “meilleurs produits du pays” qui ne pouvaient sauver de la famine !
Un peu de ceci, un peu de cela (verset 11), et pour le reste, à la grâce de Dieu ! Telle est la religion de l’homme : il cherche toujours dans ses réserves ce qu’il peut offrir “de meilleur” à Dieu, pour être agréé. Dieu n’accepte rien de cela ; il ne demande rien à celui qui ne peut rien donner ; c’est lui qui donne.
En vérité Jacob se trompe, et le seigneur du pays dont les greniers débordent ne prêtera aucune attention à ce maigre présent. De plus, Jacob compte sur l’argent reporté et l’argent ajouté pour obtenir les vivres. Il ne semble pas s’être interrogé outre mesure sur la signification de ces paquets d’argent placés par une main mystérieuse dans les sacs de ses fils : “peut-être était-ce une erreur ?” En tout cas, il n’y voit pas la main de Dieu ; il n’est pas dans sa lumière ; il lui laisse la dernière place dans ses plans (verset 14). Cependant, il se soumet à sa volonté quelle qu’elle soit. En remettant entre ses mains le sort de Benjamin, en acceptant que Dieu fasse ce qu’il trouvera bon, il montre que la discipline a graduellement opéré en lui ; elle va s’achever et ses trois fils lui seront rendus.
Au verset 15, les fils de Jacob se tiennent devant Joseph ; celui-ci, voyant Benjamin avec eux, va continuer son patient travail de restauration. Il commence par leur ouvrir sa maison, et fait apprêter le festin. Il veut parler à leur cœur autant qu’à leur conscience, mais ils ne comprennent guère ce langage. Ils ont peur d’entrer dans la maison de cet homme puissant, qui agit avec eux d’une façon aussi déconcertante. Ils ne peuvent concevoir qu’ils y seront reçus comme des invités de marque. Leur conscience n’est pas à l’aise, et leur première réaction est de se justifier au sujet de l’argent. C’était bien un autre argent, celui de la vente de Joseph, qui aurait dû les mettre mal à l’aise.
Mais l’intendant les rassure ; c’est un homme qui tient bien ses comptes. Tout est en règle : “Votre argent m’est parvenu”. Et pourtant, ils l’ont encore dans leurs mains : Joseph avait payé pour eux. Cet intendant est remarquable ; il est en pleine communion avec celui au nom duquel il agit, et dont il administre les biens. Il connaît le Dieu de Joseph, le Dieu de Jacob, et agit dans l’esprit de cette connaissance. Il évoque pour nous l’activité du Saint Esprit, qui conduit au Seigneur (versets 23, 24).
A l’arrivée de Joseph, ses frères se prosternent devant lui pour la deuxième et la troisième fois (versets 26, 28). “Nous verrons ce que deviendront ses songes”, avaient-ils pu dire ; ils le voient. Ils sont là les onze, Siméon est libéré, Benjamin est venu. Ils ont préparé le présent, ils l’ont apporté. Ce présent semble tenir une grande place dans leur présentation, de même que l’argent, mais Joseph ne fait cas que de Benjamin.
Son père est encore vivant ; son jeune frère est devant ses yeux. Joseph est profondément ému et pleure. Nous le voyons pleurer sept fois au cours de ces récits, jamais sur lui-même, sur ses souffrances ou sa dure captivité, mais sur ses frères, sur son père. Sans doute le premier désir de son cœur aurait été d’embrasser Benjamin, mais il faut qu’il achève le travail de relèvement de ses frères. Une joie et une communion heureuse ne peuvent être goûtées auparavant, c’est pourquoi il mange à part. Joseph fait maintenant asseoir ses frères devant lui (verset 33), et ceux-ci ont de quoi s’étonner entre eux en voyant cet homme discerner leur rang dans la fratrie ; cela laisse supposer qu’il sait beaucoup de choses sur eux. De plus, il leur fait faire bonne chère sans raison apparente, et avec encore moins de raison, le plus jeune reçoit une portion privilégiée. Tout cela est mystérieux, mais bien digne de Dieu qui les laboure ainsi de diverses manières pour faire briller les richesses de sa grâce à la fin.