Isaac retrouve maintenant sa dignité de patriarche. Il a pris le temps de la réflexion ; aussi lorsqu’il appelle Jacob, ce n’est pas pour évoquer le triste passé. Ils avaient bien été solidairement coupables, mais le langage d’Isaac témoigne d’une spiritualité retrouvée. Ce n’est pas simplement pour le détourner de la fureur de son frère, que son père envoie Jacob à Paddan-Aram, mais avant tout pour y trouver une épouse de la parenté des patriarches, digne de la lignée de ces hommes de foi (24. 4).
Puis Isaac en appelle au Dieu tout-puissant, puissant pour accomplir ce qu’il a promisRomains 4. 21. Les promesses du Dieu qui veut bénir sont donc rappelées avec plus de clarté d’esprit et de hauteur de vue que dans la scène précédente ; c’est ainsi que l’Éternel les confirmera (verset 13).
Dieu protège Jacob, et Ésaü laisse partir son frère. Plus encore, il enregistre l’injonction qu’Isaac fait à Jacob de ne point prendre de femme d’entre les filles de Canaan. Sans doute lui-même n’avait-il pas été mis en garde fermement en temps voulu, (ce qui doit éveiller la grande responsabilité de chaque chef de famille).
Maintenant, sans exercice de conscience, Ésaü trouve une manière bien à lui de se conformer au désir de ses parents : il s’adjoint une troisième épouse sans répudier les autres. Elle sera quelque peu de sa parenté, et cela pourra satisfaire son père, pense-t-il ; mais nous avons vu ce que symbolise Ismaël. En réalité, Ésaü n’a pas jugé sa conduite inique, en particulier quant au mariage, et il n’agit qu’en vue de se remettre en bons termes avec son père pour resserrer les liens passés ; Ésaü reste un profane.
Jacob quitte la tente familiale, un lieu apprécié pour sa douceur de vivre et sa sécurité (25. 27) ; mais Dieu a en vue pour lui sa propre maison. C’est pour un tel but qu’il le soumettra à une discipline prolongée. Jacob quitte donc la fraîcheur de Beër-Shéba pour se trouver dans un désert de pierres à la tombée de la nuit. Moralement aussi, la nuit tombe sur la vie de Jacob lorsqu’il s’apprête à quitter le pays de la promesse ; le soleil se lèvera à nouveau bien des années plus tard, lorsque ce fugitif reviendra (32. 32).
Jacob est là comme un proscrit, “s’enfuyant de devant la face d’Ésaü son frère” (35. 1), dans une solitude éprouvante et dans un dénuement total, n’ayant qu’une pierre pour chevet, le ciel pour couverture, et son bâton pour seul soutien et pour seul bien (32. 11). C’est véritablement “le jour de sa détresse” (35. 3), mais aussi le jour où Dieu peut “se révéler à lui” (35. 7).
Dieu est bien, comme pour Agar, celui qui se révèle lorsque l’homme est au bout de ses ressources ; il se manifeste non pas sur le lieu même du déshonneur, mais seul à seul dans le terrible silence de la nuit du désert. Jacob n’est pas dans un lieu de communion divine, mais l’Éternel s’adresse à lui dans un songe en vue de déployer sa grâce.
Ce pauvre fugitif est là, couché par terre ; mais Dieu dresse l’échelle et le relie aux cieux : quelle grande vision ! Les anges montent et descendent, pleins de sollicitude pour ce malheureux que Dieu aime ; ils sont prêts à servir et à protéger Jacob, comme une “armée de Dieu”, jusqu’à son retour au pays (33. 2, 2). L’Éternel lui-même se tient sur l’échelle, le même de génération en génération, un Dieu de miséricorde ; en vérité, il valait bien la peine que les espérances de la terre s’éloignent, pour que s’ouvre la porte du ciel.
Dieu veut bénir la terre à travers Jacob et sa descendance, et il le dit. Les promesses faites à Abraham dans toute leur étendue, ont été confirmées à Isaac en vue d’une lignée céleste et le sont à Jacob en vue d’une lignée terrestre, “comme la poussière de la terre” : “Qui est-ce qui comptera la poussière de Jacob” ? Nombres 23. 10. Dieu nous ouvre là un large horizon terrestre en vue du jour où la descendance de Jacob – « tout Israël » – ramenée dans le pays, sera établie pour la bénédiction de la terre entière.
Au verset 15, Dieu ajoute une touchante promesse sans condition ; il montre toute la sollicitude dont il va entourer celui qu’il a choisi. Bien que le caractère de Jacob soit maintenant révélé, le propos de Dieu ne change pas ; mais par la discipline, il formera son élu pour la réception des bénédictions promises : “jusqu’à ce que j’aie fait ce que je t’ai dit”. Il agit avec la même sollicitude pour nous aussiHébreux 13. 5.
Jacob se réveille ; Dieu lui a parlé en songe, mais au lieu de conserver devant les yeux ces visions de grâce et de gloire, il est effrayé par la solennité du lieu et du moment. La présence de Dieu fait toujours trembler une conscience mal à l’aise. Cependant l’Éternel va donner à l’âme de ce proscrit une impression divine qui ne le quittera pas. Le caractère de “la maison de Dieu” est inscrit dans sa mémoire : grâce et fidélité du Dieu de Béthel. A plusieurs reprises au cours du pèlerinage, ce nom sera évoqué pour encourager Jacob, et dicter sa conduite jusqu’au retour à Béthel (35. 6).
Avant de s’éloigner de ce lieu, Jacob dresse une stèle qui n’est autre que la pierre sur laquelle sa tête a reposé. Pendant ce moment de repos, Dieu a parlé à son cœur. Jacob reconnaît que la grâce dont Dieu l’a enveloppé doit être conservée en mémorial dans ce lieu sacré, et il oint la stèle d’huile ; il reviendra là. Dieu n’oubliera pas cette humble onction (31. 13) ; vingt ans après, il rappellera ce geste précieux pour son cœur.
Jacob fait alors un vœu qui dévoile son état spirituel du moment. Il est loin de réaliser ce que Dieu veut être pour lui, et il s’abaisse à demander l’aumône alors que Dieu vient de l’enrichir de toute sa grâce, et de bénédictions élevées. Puis au lieu de tout recevoir gratuitement avec reconnaissance, il fait un marché et pense obtenir quelque chose en donnant lui-même. Cependant Dieu tiendra compte de sa faiblesse dans ce lieu et dans ce moment-là, et accomplira son vœu.