Jacob continue son chemin, et va bientôt entrer dans le pays de la promesse. Mais l’Éternel ne le permettra qu’après l’avoir éprouvé jusqu’au plus profond de lui-même, afin que ses voies soient jugées et réglées désormais devant lui. Au préalable il l’encourage, en envoyant à sa rencontre les anges qui étaient apparus montant et descendant sur l’échelle à Béthel. Ils viennent maintenant lui souhaiter la bienvenue à son retour ; Dieu lui rappelle ainsi qu’il a tenu la promesse de Béthel, et répondu également au vœu de son serviteur d’être gardé dans son chemin (28. 15). C’est aussi l’assurance qu’il le ramènera “en paix à la maison de son père”.
Jacob, placé sous la protection de “l’armée de Dieu”, n’a donc rien à craindre de l’armée d’Ésaü. Mais le passé n’est pas effacé de sa mémoire, et pour cause. La parole d’Ésaü : “Je tuerai Jacob, mon frère” ne peut être oubliée, car tout en est resté là. Jacob compte donc sur ses propres ressources ; il en fait état complaisamment (verset 6). En lui-même il doute de l’efficacité de l’armée de Dieu, parce que son cœur le condamne1 Jean 3. 21. Rien n’est plus heureux qu’un cœur libre devant Dieu et devant tous les hommes. Cela donne une pleine assurance de foi dans les difficultés.
Jacob n’a pas le courage moral d’accomplir ce que le Seigneur enseignera positivement : “Si ton frère a quelque chose contre toi, va, réconcilie-toi avec ton frère” Matthieu 5. 23 ; et cela ne peut être obtenu par les paroles les plus flatteuses ou les présents les plus généreux, mais par la confession des fautes commises.
Quelle servilité dans le message que transmet Jacob à son frère ! Isaac avait déclaré dans sa bénédiction : “Sois le maître de tes frères, et que les fils de ta mère se prosternent devant toi !” (27. 29). Mais il va bientôt se prosterner en terre sept fois devant son frère ; dans sa requête à Ésaü, il parle comme un serviteur à son seigneur, et lui propose ses biens. Est-ce un langage normal de frère à frère ? Jacob ne perd-il pas sa dignité dans ces flatteries et ces calculs ? Tout cela le rend petit et faible, alors que l’élection de la grâce divine l’avait rendu plus grand que son frère.
Puisque Jacob se confie en l’homme, Dieu va l’éprouver sérieusement. Ésaü s’annonce avec quatre cents hommes ; ce n’est certes pas ce que Jacob attendait, et sa conscience mal à l’aise lui laisse entrevoir le pire. Pourquoi Ésaü s’est-il entouré de cette troupe pour venir à la rencontre de Jacob ? Le récit ne nous en dit rien. Isaac avait prophétisé à son sujet : “Tu vivras de ton épée” (27. 40). Aussi ses descendants sont-ils les fiers chefs d’Édom (36. 19) ; cet orgueil est marqué dès ce jour dans la marche d’Ésaü, mais cela ne peut manquer d’impressionner le pauvre Jacob sans défense, et le plonge dans une angoisse profonde. Il a le sentiment que son message n’a pas porté, et qu’il n’a pas obtenu la grâce qu’il attendait de son frère. Dieu ne pouvait le permettre.
L’épreuve se renforce donc, et conduit enfin Jacob à la prière (verset 10). La foi se montre sans aucun doute dans cette supplication ; l’humilité ne manque pas, ni la reconnaissance, ni le rappel des promesses ; mais il n’y joint pas une vraie confiance qui n’aurait pu résulter que d’une heureuse communion avec Dieu. Jacob n’aurait alors imaginé aucun plan humain pour aider Dieu.
Dans quel esprit prions-nous ? Sommes-nous toujours disposés à laisser Dieu seul agir, sans lui dicter ce qu’il doit faire, sans prétendre l’aider, sans appeler autrui au secours, sans nous impatienter ? Assurément, si nous avons mis notre confiance en lui et en sa parole pour notre salut éternel, à plus forte raison devrions-nous tout remettre entre ses mains pour les difficultés de chaque jour. Il est notre Père : “rejetant sur lui tout votre souci, car il a soin de vous” 1 Pierre 5. 7.
Ainsi Jacob n’est pas certain de la réponse divine, car il ne s’est pas jugé lui-même, et n’a pas réglé ses voies devant Dieu. Avant même d’exposer son angoisse, il prend des dispositions tout humaines et sans grand effet (verset 9). Après sa supplication, il poursuit son plan, en répartissant ses généreux présents dans une suite impressionnante, en vue d’apaiser son frère.
C’est bien là la manière de l’homme, mais pas celle de Dieu, pour qui une seule chose importe : confesser devant lui et devant son frère offensé toute la faute commise, demander pardon, puis lui en laisser les conséquences en toute tranquillité d’esprit. Jacob, lui, reste agité ; la nuit vient et il n’y a pas de repos pour lui. Dans cette angoissante obscurité, il va faire franchir le torrent à sa famille plongée dans la crainte ; c’est alors que Dieu va le trouver.
“Et Jacob resta seul”. Cette nuit rappelle celle de Béthel ; Dieu le met à l’écart, car il a des choses à lui apprendre. La prière de Jacob (versets 10-13) montre qu’il reste obsédé par la crainte d’Ésaü ; le temps n’efface pas les fautes ; même si plus de vingt années se sont écoulées, il faut les juger à la lumière divine. Mais surtout Jacob doit comprendre que, comme « supplantateur », c’est Dieu qu’il a offensé ; il lui faut en prendre conscience et le confesser sans réserve en déclinant son nom (verset 28). Alors Dieu pourra répondre à sa prière : il le délivrera et le bénira.
La nuit tombée, un “homme” mystérieux barre la route de Jacob à son entrée dans le pays ; il va lutter avec lui. Jacob ne connaît pas encore son adversaire (Dieu lui-même), et soutient un combat énergique pendant une nuit entière. Nous en comprenons le sens spirituel : cette lutte montre ce qu’a été la volonté de l’homme en Jacob pendant tant d’années ; Dieu veut en finir. La chair est indomptable, opposée à Dieu, et ne peut être améliorée ni assujettie. Dans tous les temps, les préceptes moraux, les inventions sociales, les secours de la religion, ne tendent qu’à masquer ce que l’homme est dans sa nature : inimitié contre DieuRomains 8. 7.
La chair est donc incorrigible ; la lutte se termine lorsqu’il a été démontré que le vieux Jacob prévalait toujours. Dieu en finit par un geste très bref, en luxant la hanche de ce lutteur, symboliquement en brisant le support charnel de sa marche, afin que désormais cet homme boiteux s’appuie sur Dieu seul. Nous-mêmes avons appris que la croix de Christ est la fin de la force de l’homme en Adam ; elle imprime désormais sa marque à toutes nos voies ; elle ouvre le chemin d’une “marche par l’Esprit”.
Au verset 27 commence une autre lutteOsée 12. 5. Jacob entreprend avec Dieu un combat magnifique, enfin marqué par la foi. Il a appris que celui qui l’a frappé dans sa chair est celui en qui est la force, mais aussi le pouvoir de bénir. Jacob veut obtenir cette bénédiction ; il pleure, il supplie, alors que l’ange va s’en aller. “Quel est ton nom ?” Il faut bien le reconnaître maintenant : Jacob le trompeur, le « supplantateur » ; après cette confession, Dieu lui accorde la victoire (Israël : vainqueur de Dieu).
Jacob a obtenu par la foi la bénédiction désirée (versets 27, 30), et c’est là sa victoire. Malgré tout, cette scène est placée sous le signe de la discipline ; il ne lui est pas permis de connaître pour l’instant le nom de celui qui l’a béni après l’avoir brisé ; il ne peut donc jouir de sa communion. Il faudra attendre Béthel (chapitre 35).
Cependant un jour nouveau se lève pour lui (verset 32) ; il a pu saisir quelques rayons de la gloire de Dieu qu’il a vu face à face (Peniel), et son âme a été délivrée. Il se trouve désormais dans la lumière de Dieu. Il va pouvoir marcher d’un meilleur pas, malgré sa hanche luxée, car son infirmité lui rappellera sans cesse que la puissance de Dieu s’accomplit à travers la faiblesse de l’homme, par une grâce toute suffisante2 Corinthiens 12. 9, 10.
Au verset 32, le souvenir de cette lutte est conservé dans la mémoire des fils d’Israël pour leur enseignement : ils ne mangent point du tendon de la hanche. Faisons de même spirituellement ; abstenons-nous de nous nourrir avec complaisance de ce qui est humiliant dans nos frères ; recherchons plutôt ce qui, en eux, est de Christ, la puissance plutôt que l’infirmité.
Ésaü approche avec sa troupe ; l’épreuve décisive survient, mais Jacob le vainqueur est encore bien faible. Les liens qui l’attachent aux divers membres de sa famille le conduisent à prendre de surprenantes dispositions, mais il a malgré tout le courage d’aller en avant affronter son frère. Il s’aperçoit alors que Dieu l’a devancé, et qu’il a préparé le cœur d’Ésaü d’une façon merveilleuse, pour recevoir Jacob non point avec l’épée, mais avec les baisers et les larmes. Les présents ne servent à rien, Ésaü n’y porte aucune attention. La grâce et la fidélité de Dieu envers son serviteur ont suffi à tout, et Jacob reconnaît dans cet accueil si favorable la glorieuse intervention du Dieu de Peniel (verset 10 ; 32. 31).
Dieu a répondu à la prière de Jacob de la plus merveilleuse manière, mais Jacob ne le glorifie pas comme il le devraitPsaume 50. 15. Il parle de la délicatesse des enfants et de la fragilité des troupeaux. Il leur avait pourtant sérieusement fait presser le pas en fuyant devant Laban. Il parle d’aller à Séhir alors qu’il n’ira pas plus loin que Succoth. Il sait de toute manière que l’Éternel le ramène “dans cette terre-ci”, la terre promise et non pas en dehors, à Séhir. Il répond évasivement à la proposition de protection d’Ésaü, alors qu’il a une remarquable occasion de rendre témoignage des soins protecteurs du Dieu tout-puissant. En vérité, il lui reste encore une bonne étape à parcourir pour trouver, connaître et glorifier le Dieu de Béthel.