Dans le discours sur la montagne, le Seigneur souligne l’esprit de pardon qui a cours dans le royaume : les enfants se montrent dignes de leur Père céleste en pardonnant aux hommes leurs fautes (6. 14). Dans notre chapitre, Jésus vient de montrer la manière d’agir entre frères lorsqu’une faute a été commise (verset 15). Pierre s’approche alors de lui, et pose une question qui dévoile bien la limite du pardon dans le cœur humain : pardonner sept fois de suite à son frère lui paraît, et à nous aussi, une limite impossible à atteindre. Le Seigneur, lui, établit une mesure divine : soixante-dix fois sept fois, un pardon illimité. Celui-ci est le fruit de l’amour dans le cœur d’un croyant ; il couvre d’un voile définitif une multitude de péchés confessés1 Pierre 4. 8. Un pécheur qui se repent a toujours droit au pardonLuc 17. 3, 4. Dieu a ainsi agi en grâce à notre égard, et nous pouvons faire de mêmeÉphésiens 4. 32. La noblesse du croyant se reconnaît à cette faculté d’accorder un pardon sans réserve à celui qui confesse sa faute et s’en repent.
Le Seigneur invite donc ses disciples à cette disposition constante du cœur à pardonner. Par contraste, il expose une parabole qui manifeste un esprit tout à fait opposé dans l’homme naturel. Dans l’Évangile selon Matthieu, dix paraboles du royaume des cieux nous sont relatées, dont trois nous présentent ce qu’il est devenu (ou a été fait) en l’absence du roi. Le caractère moral extérieur du royaume, depuis le départ du Seigneur jusqu’à son retour en gloire, est marqué ici par le manque de reconnaissance du pardon divin, voire même par le mépris de la grâce de Dieu.
La portée morale de cette parabole est claire pour la période chrétienne ; Jésus Christ est Seigneur de tous ceux qui font profession d’être chrétiens ; ils se placent de ce fait sous son autorité. Le prix auquel ils ont été achetés est inestimable1 Pierre 1. 19 ; la dette de dix mille talents en donne une faible idée, et pourtant cette somme représente environ soixante millions de deniers (comp. 20. 2). Elle illustre la ruine morale de tout homme, la grandeur de la dette de ses péchés et l’impossibilité pour lui de se racheter. Quelle détresse serait celle d’un homme qui se verrait, avec tous ceux qui lui sont chers, soumis à un esclavage impitoyable, pour satisfaire à l’impossible obligation de rembourser une énorme dette (verset 25).
L’esclave de la parabole supplie son seigneur, mais il a le tort de penser qu’avec de la patience il pourra tout payer. Le maître sait bien que la chose est impossible, c’est pourquoi il n’attend rien de cet esclave insolvable, mais le libère de sa dette dans un esprit de grâce. Le pardon de Dieu est souverain ; il nous est offert en Christ qui a payé notre detteÉphésiens 4. 32. Le grand salut de Dieu est adressé à tous les hommes, mais seuls en bénéficient ceux qui se savent irrémédiablement perdus et acceptent sa grâce gratuiteRomains 3. 24 ; Éphésiens 2. 8.
L’esclave est sorti de devant son seigneur sans avoir vraiment pris conscience de l’immensité de sa dette, ni de la générosité de celui qui l’a épargné en renonçant à la somme due. Le chrétien de nom qui se contente de formes religieuses méconnaît le cœur de Dieu, son grand pardon, le prix payé par lui ; il pense avoir encore quelques ressources en lui-même s’il doit quelque chose. Celui qui apprécie la grâce de Dieu en sa faveur n’étrangle pas son prochain en lui disant : “Paye ce que tu dois”.
L’esclave qui devait comparativement une bien faible somme1, présente à son indigne compagnon la même requête que celui-ci avait faite à son seigneur. Mais le méchant esclave est un créancier sans pitié, et répond à sa supplication en le jetant en prison. Les réponses témoignent avec éloquence du caractère des deux créanciers : esprit de compassion, de grâce et de miséricorde d’un côté, esprit de revendication, de jugement et de condamnation de l’autre. De quel esprit sommes-nous animés dans la pratique quotidienne, nous qui portons ce titre heureux d’esclaves de Jésus Christ ? Retenons bien que notre Père céleste agira envers nous, dans sa discipline présente, de la manière dont nous nous serons comportés à cet égard envers nos frères (verset 35).
Israël avait été choisi par l’Éternel pour le servirÉsaïe 41. 8, 9. Ce peuple infidèle s’est détourné de lui ; il méprise maintenant son roi venu en grâce. En d’autres temps, des hommes pieux et fidèles avaient reconnu l’immense culpabilité de ce peuple, en avaient aussi assumé la responsabilité, et avaient imploré le pardon divinNéhémie 9. 2. Mais qui priera pour ceux qui crucifieront leur Messie ? Jésus lui-même le fera sur la croix : “Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font” Luc 23. 34. Mais ils ne voudront pas se décharger de cette immense dette ; ils garderont sur eux le sang de leur crime, et subiront le jugement du roi (verset 34) 1 Thessaloniciens 2. 15, 16.
Aujourd’hui ceux qui aiment le Seigneur agissent envers leurs frères, ainsi qu’envers leur prochain, dans le même esprit de grâce que Jésus. Il ne nous demandera jamais le premier centime de notre immense dette ; mais un jour, il nous appellera auprès de lui (verset 32) pour rendre compte de notre conduite comme chrétien2 Corinthiens 5. 10, 11.
Si nous sommes témoins de comportements regrettables, parlons-en d’abord au Seigneur (verset 31) dans un esprit d’affliction, et non pas à notre entourage avec des langues médisantes. Puis veillons toujours, pour nous-mêmes, à ne pas pardonner des lèvres seulement, mais “de tout notre cœur”, comme Jésus Christ l’a fait pour nous (verset 35) Colossiens 3. 13 ; Hébreux 10. 17.