Josué avait parlé des deux tribus et demie avant la conquête du pays (1. 12-18). Maintenant, le temps est venu pour les combattants de retourner auprès de leurs familles de l’autre côté du Jourdain. Le chapitre 22 retrace ce retour et ses conséquences immédiates pour Israël.
Pour comprendre la position de ces deux tribus et demie, il faut remonter à l’origine de leur mise à part des autres tribus du peuple. Ils avaient délibérément choisi de s’établir dans le pays de Galaad, sans franchir le Jourdain : “Ne nous fais pas passer le Jourdain” Nombres 32. 5. Leur requête était présentée à Moïse sous une apparence de soumission et d’humilité : “Si nous avons trouvé faveur à tes yeux” ; mais, en fait, leur décision était prise, et rien ne les a fait céder plus tard. Après que les conditions ont été posées de leur participation à la conquête du paysNombres 32. 20-32, Moïse leur attribue le territoire de leur choix, sans que Dieu approuve leur propre volonté. Il est bien important pour le chrétien de saisir cet avertissement, répété pour nous à plusieurs reprises dans l’histoire d’Israël1.
Ainsi Dieu nous abandonne quelquefois à nos propres voies pour nous apprendre dans les peines les leçons que nous n’avons pas apprises dans sa communion ; n’en concluons pas pour autant que Dieu approuve tout ce que nous entreprenons pour y mettre le sceau de sa bénédiction. Malgré les apparences – et même la bénédiction que Josué leur accorde en grâce (verset 6) – la position des deux tribus et demie n’était pas selon la pensée de Dieu ; la suite de leur histoire l’a prouvé.
Josué lui-même constate qu’ils avaient rempli leur contrat moral ; ils étaient purs dans l’affaire et libérés de cette solennelle menace : “Sachez que votre péché vous trouvera” Nombres 32. 23. Rappelons-nous toujours que c’est devant Dieu que nous marchons, lui qui sonde les cœurs et éprouve les reinsJérémie 17. 10.
Josué les bénit en leur recommandant de s’attacher à la loi et d’aimer l’Éternel pour le servir. Il emploiera les mêmes expressions plus tard pour exhorter les autres tribus au moment de son départ (verset 5 ; 23. 8) ; ceci souligne l’unité de toutes les tribus du peuple de Dieu, objet commun de ses soins.
Les difficultés commencent dès le retour des tribus en Galaad par la construction de l’autel de Hed, un autel de grande apparence établi comme témoignage (versets 10, 34). Bien que les douze tribus soient un seul peuple dans la pensée de Dieu, l’unité pratique était brisée par la décision des deux tribus et demie de s’installer en Galaad. Pour faire face à cette situation à laquelle ils venaient d’être rendus attentifs, les tribus bâtissent un autel, un monument de caractère religieux.
Une telle démarche s’est souvent répétée dans l’histoire de l’humanité ; pour sceller l’unité politique d’une nation, on fait appel aux sentiments religieux du cœur de l’homme, à ses sens, à ses frayeurs et même à ses passions (c’est l’histoire de l’idolâtrie dans le monde). Ainsi Jéroboam bâtit deux autels à Béthel et à Dan. Il entraîne le peuple d’Israël dans l’idolâtrie pour asseoir son autorité politique1 Rois 12. 26-33. Plus tard, Nebucadnetsar fera une statue d’or dans la plaine de Dura pour assembler les grands de son royaume avec tous les peuples, peuplades et langues au son de tous les instruments de musiqueDaniel 3. 1-7.
Le cas de l’autel de Hed était moins grave, quoique relevant du même principe moral ; en fait les deux tribus et demie étaient sincèrement attachées à Dieu et à leurs frères au-delà du Jourdain. L’autel de l’Éternel avait été déjà bâti à Ébal. Plus tard, il serait à Jérusalem auprès de l’arche. Bâtir un autre autel en un autre lieu, c’était en pratique nier l’unité du peuple. C’était aussi méconnaître le seul “lieu que l’Éternel, ton Dieu, aura choisi pour y faire habiter son nom” 3.
L’assemblée d’Israël, ayant appris la chose, se réunit à Silo pour monter en bataille contre leurs frères.
Phinées, fils d’Éléazar, le sacrificateur, est envoyé avec dix princes pour s’enquérir soigneusement sur place (selon l’instruction de la loi de Moïse) Deutéronome 13. 15. Phinées avait manifesté sa fidélité à Dieu devant le mal dans l’affaire de Baal-PéorNombres 25. 7. Le témoignage à cette fidélité est conservé dans la Parole à côté de celle de Moïse qui se tenait à la brèche pour le peuplePsaume 106. 30, 23. Plus tard, Phinées est auprès de l’arche de Dieu à Béthel lors de la triste affaire de GuibhaJuges 20. 27, 28.
Sévère vis-à-vis du mal, Phinées craint que l’autel de Hed ne soit une rébellion contre Dieu. Il rappelle à ses frères les deux tristes circonstances de Péor et d’Acan, où les fautes commises avaient souillé tout Israël. Le peuple entier était responsable devant Dieu : “Demain il sera courroucé contre toute l’assemblée d’Israël” (verset 18).
En même temps, Phinées manifeste la profondeur de grâce qui habitait son cœur. Il propose ainsi aux deux tribus et demie de revenir auprès du tabernacle de l’Éternel pour y trouver une possession auprès de leurs frères qui partageraient leur héritage avec eux (verset 19). Qu’un tel exemple nous engage pratiquement à rechercher cet équilibre entre le zèle et la fidélité pour Christ et les droits de sa grâce qui seule touche les cœurs !
Elle montre qu’elles étaient fidèles à l’Éternel, au fond, malgré les apparences créées par leur position.
L’autel avait été bâti comme témoin pour les générations à venir (verset 24). Un doute subsiste quant à l’usage futur de l’autel (verset 27) pour y offrir des sacrifices ; ce n’était pas de l’idolâtrie (il s’agissait toujours du service de l’Éternel), mais c’était méconnaître l’unité du peuple de Dieu.
Bien des croyants aujourd’hui se réunissent en divers lieux selon des convenances humaines. Or c’est par la fraction du seul pain, que l’unité du corps de Christ est rappelée1 Corinthiens 10. 17. Que le Seigneur nous garde de tout esprit d’indépendance ! Il existera, jusqu’à la fin de l’histoire de l’assemblée sur la terre, un lieu où se rencontreront autour du Seigneur les deux ou trois qui invoquent son nom d’un cœur pur.
La réponse des deux tribus et demie était bonne aux yeux de Phinées et des dix princes qui rapportent la nouvelle à leurs frères dans le pays ; les droits de Dieu sont solennellement reconnus : “Vous avez sauvé les fils d’Israël de la main de l’Éternel” (verset 31). C’est à Dieu que s’adresse la reconnaissance : “Les fils d’Israël bénirent Dieu” (verset 33). La guerre civile avait été évitée, et la paix entre les frères momentanément retrouvée.
Mais plus tard les fruits amers de la position ambiguë de ces tribus seront produits. Le manque d’énergie de la foi les conduira à délaisser les combats contre les ennemis au temps de Barak et de DéboraJuges 5. 15-17. Le soin des troupeaux en Galaad (figure de nos aises dans ce monde) avait plus de prix que les intérêts du peuple de Dieu.
Les tribus en Galaad ont été les premières à être livrées aux ennemis du dehors. Au début, Dieu avait laissé faire lors du choix de leur héritage. Mais, à la fin, Dieu lui-même intervient en réveillant “l’esprit de Pul, roi d’Assyrie” 1 Chroniques 5. 26 pour sanctionner, par la main des nations, l’acte d’infidélité à l’origine de cette triste histoire.
Nous devons écouter l’avertissement que Dieu nous donne, mais veiller aussi à ne pas manquer “de la grâce de Dieu” Hébreux 12. 15. Pour conclure, citons les paroles d’un serviteur de Dieu : “Que Dieu nous garde de ces trois principes qui attirent le jugement de Dieu sur sa maison : la mondanité (Acan), l’alliance avec le monde religieux (Gabaon et Péor), et l’indépendance (l’autel de Hed), le plus subtil et le plus dangereux de tous : comme principe de péché, il est à la base de tous les autres.”