Genèse 2 et 3
Il est intéressant et utile d’apprendre à connaître la manière dont Dieu agit dans les siens, en considérant des hommes qui servent d’exemples. Ils ont la même nature et les mêmes sentiments que nous, et Dieu les rend capables de faire sa volonté. Nous voyons la grâce de Dieu agir en eux, mais nous voyons aussi du côté de l’homme toutes sortes d’entraves à l’action divine.
L’exemple d’Adam est particulièrement instructif. Il fut un temps où, dans son innocence, Adam n’avait besoin d’aucune formation, mais cette situation, aucun homme après lui ne l’a connue. La discipline, la formation commença dès le jour de la chute. Celui qui a été fait à l’image de Dieu, qui est plus proche de Dieu que toute autre créature, celui-là même est désormais caractérisé par un esprit et une nature entièrement opposés à Dieu ; en sorte que, s’il doit vivre pour Dieu, il faut qu’il apprenne à renoncer à sa propre volonté, qu’il se laisse former par la puissante main de Dieu. L’esprit d’Adam était auparavant soumis de façon naturelle à la volonté de Dieu. Maintenant, la rébellion de son cœur doit céder pour qu’il puisse obéir.
Quel contraste aussi entre la puissance de la grâce de Dieu et la faiblesse de l’innocence ! Innocent, il est tombé, et quand il est déchu, la main de Dieu l’élève – non pas dans l’ignorance, ni la passivité, mais pour le faire agir avec une conviction intelligente. L’innocence ne lui donnait pas de force ; mais Dieu, en réduisant sa nature qui n’est plus innocente à l’obéissance, lui communique sa puissance. Adam peut faire plus avec la puissance de Dieu, étant déchu, que sans elle, dans l’innocence qu’il a définitivement perdue. Innocent, il n’avait aucun sens de la valeur de la vie ; déchu, mais croyant la révélation de Dieu, il peut alors nommer sa femme d’un nouveau nom, et l’appeler la mère de tous les vivants. Sous la sentence de mort, il peut parler de vie.
Nous n’avons pas à regretter l’innocence. Cela a été, certainement, un moment de félicité merveilleuse pour Adam ; mais c’était une condition dans laquelle l’homme n’a pu demeurer ; et maintenant, s’il est en relation avec Dieu, sa position est moralement plus élevée, bien qu’elle puisse paraître extérieurement inférieure.
Dieu veut que le cœur d’Adam soit satisfait ; mais parmi les créatures il n’y a pas d’aide qui lui corresponde. Il n’était « pas bon que l’homme soit seul » ; alors Dieu forme celle qui peut satisfaire ses affections, et il la lui donne. Mais quand elle est séduite et qu’il cède à son influence, il perd la conscience de l’amour de Dieu pour lui, et veut rejeter la responsabilité de sa chute sur Celui qui lui a tout donné. Alors, quand l’homme et la femme se sont éloignés de Dieu et qu’ils se cachent de devant lui, les premières leçons de sa grâce leur sont présentées.
La conviction de péché fait partie de la discipline aussi bien que le châtiment, car il s’agit de nous faire participer à la sainteté de Dieu. Ce n’est pas pour améliorer notre nature, mais pour nous convaincre de son impuissance totale afin que nous soyons tournés vers Dieu, car telle est la signification de la sainteté « sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». Il y a une grande souffrance à être convaincu de péché ; et s’il n’y a pas aussi un sentiment profond de la grâce de Dieu, il s’ensuivra un grand découragement et la tendance à s’abandonner au désespoir. De là l’exhortation : « ne perds pas courage quand tu es repris (ou convaincu) par lui ». Dieu ne convainc pas à la hâte. Il désire que, par l’action de sa parole sur notre conscience, nous soyons d’abord convaincus de péché. Il ne sert pas à grand chose de parler de ses fautes à un homme superficiel ; généralement, cela ne fait que le pousser d’autant plus à se les cacher ou à les atténuer. Il est très difficile d’amener une personne malade, mais qui n’est pas convaincue de l’être, à suivre un traitement nécessaire. Plus vous insisterez auprès d’elle, plus elle s’efforcera de démontrer que vous vous trompez, et cela ne fera qu’aggraver la maladie que vous voulez soulager. Mais l’âme vraiment convaincue de péché, comme le malade qui a conscience du danger qu’il court, est prête à recevoir tout ce qui peut remédier à son état.
Quand Adam s’est revêtu d’une ceinture de feuilles de figuier et s’est caché derrière les arbres, la voix de Dieu l’appelle. C’est toujours notre tendance : lorsque la lumière venant de la Parole veut nous atteindre pour la première fois, nous faisons beaucoup d’efforts pour la fuir, comme les pharisiens, qui s’éloignaient de la présence du Seigneur ; et nous devons apprendre combien une telle fuite est vaine. Les efforts d’Adam ont pour but de le couvrir et de le faire échapper à l’œil de Dieu. Et Dieu lui permet de réaliser ses projets. Nous avons tous fait ce genre d’expérience. Il est terrible d’être obligé de répondre à la question : « Où es-tu ? » lorsqu’on découvre l’insuffisance de tous les expédients utilisés pour préserver la conscience de l’action de la parole de Dieu. Cette question ne rappelle-t-elle pas à Adam la position qu’il occupe maintenant en contraste avec celle qu’il a perdue ? La réponse révèle l’état de la conscience : « J’ai eu peur, car je suis nu, et je me suis caché ».
Le premier effort d’une conscience qui souffre est de se cacher. Nous n’aimons pas nous voir tels que nous sommes, encore moins que quelqu’un d’autre nous voie ainsi. À l’ouïe de la voix de Dieu nous nous cachons, et trahissons ainsi notre état d’éloignement. Quand on se cache c’est que la conscience n’est pas à l’aise. De fait, on se cache pour paraître meilleur que l’on n’est. Si nous acceptions que chacun nous voie tels que nous sommes, nous ne nous cacherions pas. Quand Dieu s’occupe de nous, nous apprenons que « toutes choses sont nues et découvertes aux yeux de celui à qui nous avons affaire ». La Parole (voyez Hébreux 4. 12) agit sur notre conscience, « atteignant jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; et elle discerne les pensées et les intentions du cœur » ; mais elle conduit à Dieu. C’est à Lui que « nous avons affaire ». La voix de l’Éternel pénètre l’âme d’Adam ; et bien qu’il soit ceint de feuilles de figuier, suffisantes pour satisfaire sa propre mesure de moralité, quand vient la Parole, il a peur ; car il est nu – nu devant Dieu – et il se cache.
Il est donc important de distinguer deux activités de la conscience, selon qu’elle est éclairée ou non par la Parole. Quand un homme a satisfait sa propre conscience, qu’il a adopté un système qui lui cache, à lui et aux autres, le véritable état de son âme, il est tranquille pour quelque temps ; mais dès que la voix de Dieu se fait entendre, il n’a plus de repos. Comme Pierre saisi de « frayeur » en Luc 5. 8, il se rend soudain compte qu’il est nu et découvert devant Dieu ; cela le remplit de crainte, d’autant plus qu’il s’est fait des illusions sur son propre état. L’action de la Parole de Dieu serait terrible et accablante pour nos âmes si nous n’avions un « grand Souverain Sacrificateur qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu ». Ayant été « tenté en toutes choses comme nous, à part le péché », Il nous soutient par sa sympathie dès que nous sommes, par l’action de la Parole, séparés du péché ; alors, par le plein effet de sa propitiation devant Dieu, notre conscience trouve devant le trône de la grâce le repos dont elle a besoin, et nous avons notre joie dans la présence de Dieu.
Adam doit ainsi apprendre que, pour son bonheur, Dieu veut le ramener à lui ; en conséquence, la voix le poursuit jusque dans sa retraite. C’est en vain que nous cherchons à échapper à l’œil de Dieu quand il décide de nous sonder. Si nous prenons les ailes de l’aube du jour et faisons notre demeure au bout de la mer (Psaume 139. 9), il nous atteindra même là ! La conscience qui cherche à échapper à Dieu se couvre d’un vain feuillage. Une voix criera du ciel : « Abattez l’arbre et coupez ses branches, faites tomber son feuillage » (Daniel 4. 20). Tout sera découvert, et l’homme devra faire ses comptes avec Dieu. Il faut qu’il réponde à la question : « Où es-tu ? » et la réponse ne peut être que l’exposé des faits : « J’ai eu peur, car je suis nu, et je me suis caché ». Adam a fait l’essai de ses propres expédients ; ils ont été vains ; il va maintenant écouter la grâce qui parle d’un remède sûr et parfait. Mais il a dû d’abord découvrir toute la vraie condition de son âme, reconnaître sa peur – sa nudité – ses efforts pour se cacher. C’est le premier effet de la parole de Dieu.
Maintenant, Dieu l’instruit. Adam a appris que l’innocence ne le protégeait nullement. Lui qui seul a su ce qu’est l’innocence, n’a pas su la garder. Il a été tenté et a cédé à la tentation. Or il se confie encore en lui-même pour cacher ce qu’il est. L’expédient adopté satisfait son propre sens moral et probablement aussi le sens moral de sa femme, sa satisfaction renforçant la sienne.
Voilà un piège auquel peu échappent, même des hommes pieux. C’est souvent, en effet, la réputation aux yeux de ceux qui sont les plus proches, qui s’impose à la conscience comme le jugement le plus sûr, et on s’en tient là si cette opinion est favorable. Cette façon de faire appelle la réciprocité : l’avis favorable que vous m’accordez, je vous l’accorderai en retour. Si une ceinture de feuilles de figuier est la mesure des exigences de votre sens moral, et que vous jugiez qu’elle me suffit, j’en ferai autant pour vous. C’est l’essence et le vrai caractère de toutes les réputations humaines et religieuses.
Mais quand la voix de Dieu est entendue, Adam est troublé. Cette voix éprouve tout ce qu’est sa condition, et il se trouve alors « nu et découvert aux yeux de celui à qui nous avons affaire ». Devant la sommation divine, même s’il s’excuse et cherche à atténuer sa faute, il reconnaît qu’il a été tenté et a mangé. Toutefois son effort pour se justifier l’abaisse moralement davantage que l’accusation elle-même.
Dans cette scène remarquable parce que la grâce s’y manifeste, le jugement pour chacun des acteurs est mesuré selon le rôle qu’il a joué. La sentence de Satan est d’abord prononcée et, tandis que le sort du serpent est fixé, Adam apprend qu’il sera délivré de sa puissance. Plus que cela, le propos de Dieu lui est dévoilé. C’est la façon d’agir de Dieu pour restaurer une âme, il lui parle de puissance et de grâce. La pêche miraculeuse et les paroles de Jésus ont ainsi enseigné Pierre (Jean 21). C’est le fondement de toute restauration selon Dieu. Quand le cœur est affermi, comme celui de David lorsque Nathan lui dit « L’Éternel a fait passer ton péché », il peut alors supporter de connaître quelle sera la discipline nécessaire pour corriger ce qui en lui a été à l’origine de son péché. Tout ce qui a provoqué la chute est mis en lumière, non pas en des termes généraux, mais selon la mesure de la culpabilité de chacun ; et en même temps les vrais moyens de délivrance sont présentés. Satan est condamné, et il devra subir les conséquences de sa méchanceté irréductible à l’égard de l’homme. Celui-ci sera vengé de son ennemi. Le serpent n’est pas seulement destiné à ramper et à manger la poussière, dans une hostilité perpétuelle à la descendance de la femme, mais « sa violence descendra sur son crâne » (Psaume 7. 17) : sa tête sera brisée.
La femme est ensuite amenée en jugement. Elle a été la cause immédiate de la chute d’Adam ; le grand coupable a déjà reçu sa condamnation, c’est maintenant à elle d’écouter la sienne. Elle est condamnée à de grandes souffrances lors de chaque naissance dans cette famille humaine qu’elle a contribué à assujettir à la puissance de la mort. Elle sera soumise aussi inconditionnellement à son mari, parce que sa désobéissance a amené sa propre chute puis celle d’Adam.
Le péché d’Adam est d’avoir désobéi à la parole de Dieu en cédant à sa femme. Il ne l’a peut-être pas fait de propos délibéré, mais le commandement n’était pas « caché dans son cœur » (cf. Psaume 119. 11) ; sinon il n’aurait pas écouté sa femme. Il a abandonné sa place de soumission à Dieu, il doit en supporter les conséquences, et devenir un esclave assujetti au travail sur cette terre dont il a été le prince et le dominateur. Et tout sur cette terre doit porter les marques de l’insoumission de son ancien maître. Chaque transgresseur est condamné à un châtiment correspondant à sa faute ; mais Adam est aussi rétabli dans son autorité de chef de famille. Dieu ne peut pas laisser passer la défaillance de son serviteur, mais il s’occupe de lui en grâce. Quand Dieu juge, c’est d’une justice parfaitement équilibrée. Car tous n’ont pas la même culpabilité. C’est aussi pour adoucir quelque peu la sentence, que Dieu lui donne de passer sa vie à travailler pour gagner son pain ; à la fin il faut toutefois qu’il retourne à la poussière d’où il a été pris. Il y a dans tout ceci un enseignement profond ; savoir que, si nous perdons par notre faute la position dans laquelle Dieu nous a placés, dans quelque domaine que ce soit, celle où nous serons nous rappellera douloureusement quelle a été notre perte. La moindre épine, la plus petite ronce rappelle à Adam ce qu’il a perdu par son péché. Adam entend la sentence prononcée sur sa race et, en l’acceptant, s’attache avec foi à la promesse et appelle sa femme du nom d’Ève parce qu’elle est la « mère de tous les vivants ».
La foi nous lie à Dieu, c’est pourquoi elle peut se soumettre à son gouvernement, et compter sur lui pour la délivrance. Par la foi l’âme accepte le châtiment de son iniquité, non seulement comme une juste rétribution mais comme une instruction. La discipline a produit son plus grand effet lorsqu’on s’y soumet et que l’on se confie en Dieu. C’est ce que fait Adam : en donnant ce nom à sa femme il juge ses accusations précédentes ; et celle qu’il considère comme la responsable de sa chute devient, pour sa foi, le canal de la vie. Dieu revêt Adam et sa femme d’habits de peau, ils sont de nouveau en relation avec Lui, mais la discipline n’a pas à être supprimée ni modifiée.
Adam a encore besoin d’être enseigné : il laisse Ève appeler son fils aîné d’un nom qui montre la fausse idée qu’ils se font de la promesse de Dieu. Lui seul peut communiquer la vie, eux-mêmes ne peuvent transmettre que leur propre nature, caractérisée par le péché et la mort. Et la mort est là où l’on attend la vie ; un fils est tué et l’autre est le meurtrier, celui justement qui est l’objet de leurs espérances. Quelle terrible épreuve pour Adam ! Mais nous pouvons penser, à cause du nom donné ensuite à Seth, que la discipline produisit ses effets.