Tandis que Jean passe sous silence l’institution de la cène, Marc ne dit rien de la Pâque elle-même. Après la désignation de Judas, tout l’accent est mis sur la cène du Seigneur. Jésus interrompt le repas pascal pour donner aux siens le précieux mémorial qui allait, au cours des âges, remplacer cette Pâque, puisque sa mort en était la parfaite réalisation.
L’importance que revêt la cène du Seigneur est confirmée par le fait qu’elle est mentionnée six fois dans la parole de Dieu. Outre les trois évangiles synoptiques, son rappel est donné deux fois par l’apôtre Paul dans la première épître aux Corinthiens1 Corinthiens 10. 16, 17 ; 11. 23-26, et les Actes (outre une mention générale de la fraction du pain au 2e chapitre) mentionnent sa réalisation le premier jour de la semaineActes 20. 7. La valeur de ce qui symbolise la mort de notre cher Sauveur ne devrait jamais être sous-estimée. Gardons-nous aussi de la routine dans laquelle nous pourrions facilement tomber, accoutumés à cet acte répété chaque dimanche. Si la fréquence d’une chose comporte le risque de la rendre simplement rituelle, ce n’est pourtant pas en la réalisant plus rarement qu’on la valorisera davantage. Ce mémorial fait appel à nos affections pour le Seigneur ; elles sont chaque fois réchauffées lorsque nous y participons.
Durant le repas, Jésus prend un pain et, ayant béni, il le rompt et le donne aux disciples en leur disant : “Prenez ; ceci est mon corps” (verset 22). Il était lui-même présent au milieu d’eux, dans le corps qu’il allait donner sur la croix pour notre salut. Le pain que les disciples ont mangé symbolisait donc ce qui allait être réalisé sur le Calvaire. Ce n’est cependant pas un simple symbole à valeur liturgique. Il y a, dans la cène, une profonde réalité spirituelle, une prise de conscience du fait solennel que Jésus s’est livré lui-même pour moi, pour nous, pour son ÉgliseGalates 2. 20 ; Éphésiens 5. 2, 25. En participant à un tel mémorial, nous n’agirons pas avec légèreté, mais nous chercherons toujours à nous conformer à l’enseignement donné par l’apôtre Paul en 1 Corinthiens 10 et 11. La cène n’est pas un acte magique pouvant produire ce que la grâce de Dieu a déjà réalisé dans le croyant lors de sa conversion, mais c’en est le rappel dans la reconnaissance d’un cœur qui répond au désir de son Sauveur.
Après le pain, Jésus prend la coupe en disant : “Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui est versé pour plusieurs” (verset 24) et il ajoute qu’il ne boira plus de ce fruit de la vigne jusqu’à ce qu’il le boive nouveau dans le royaume de Dieu. Il y a donc une double signification dans la coupe de la cène. C’est premièrement le symbole de la vie de Jésus donnée pour le salut des pécheurs. Une victime parfaite a été sacrifiée et son sang suffit pleinement pour effacer nos péchés. En comparant la valeur relative des sacrifices du culte juif avec la valeur parfaite du sacrifice de Christ, l’épître aux Hébreux nous dit que Christ est entré dans le ciel une fois pour toutes, avec la valeur de son propre sang, ayant obtenu une rédemption éternelleHébreux 9. 12. “Sans effusion de sang”, dit-elle encore, “il n’y a pas de rémission” Hébreux 9. 22.
En second lieu, dans le symbole de la coupe, il y a la mention de la nouvelle alliance. En effet, sur la base du sang de Christ, de la vie de Jésus donnée sur la croix, le peuple d’Israël goûtera une pleine restauration ; il se tournera vers celui qui a été percé et reconnaîtra avec humiliation sa propre culpabilitéZacharie 12. 10. Alors une nouvelle alliance sera établie en faveur de ce peuple restauré comme l’a déclaré le prophète JérémieJérémie 31. 31-34 ; Hébreux 8. 6-13. La proclamation de cette nouvelle alliance par la coupe de la cène est le témoignage rendu à la valeur totale et éternelle du sang de Jésus versé sur la croix. En rapport avec la nouvelle alliance, le Seigneur dit qu’il ne boira plus du fruit de la vigne jusqu’à l’établissement du royaume, car comment pouvait-il se réjouir au milieu de son peuple la nuit même où il allait être rejeté par lui ? Malgré cela, Jésus s’associe ses disciples dans une hymne chantée à la gloire de Dieu. Combien émouvants ont dû être ces accents dans un tel moment !
La joie que le Seigneur désirait partager avec ses disciples avait déjà été gâchée par le départ de Judas. Sitôt après les doux moments passés avec les siens, le Seigneur doit revenir à la mention de choses fort douloureuses pour son cœur. Le berger allait être frappé, les brebis seraient dispersées et tous les siens l’abandonneraient (verset 27). Quelle douleur pour l’âme sensible de Jésus ! Vous serez tous scandalisés, a-t-il dit ; oui tous, donc Pierre aussi. Et si j’avais été là, moi aussi, même si j’aime le Seigneur… ! Mais c’est dur de l’entendre et c’est difficile de l’admettre. Ne blâmons pas Pierre pour sa trop grande assurance, car un peu d’honnêteté nous fera reconnaître que nous lui ressemblons souvent.
Si, comme cela est couramment admis, Marc a composé son évangile dans la compagnie de Pierre, nous devons reconnaître l’humilité de cet apôtre qui n’a rien masqué de ce qui le désavantageait. La déclaration prétentieuse de Pierre montre bien peu d’amour à l’égard de ses condisciples. Passe encore qu’il fasse valoir sa propre détermination, mais déclarer qu’il sera seul à tenir ferme, c’est se placer au-dessus de ses frères. Le Seigneur, un peu plus tard, le lui fera sentir avec beaucoup de grâce : “M’aimes-tu plus que ne font ceux-ci ?” Jean 21. 15
Le Seigneur savait tout à l’avance ; c’est pourquoi il avertit Pierre que, cette nuit même, il le renierait trois fois. Cela aurait dû conduire Pierre à implorer humblement le secours du Seigneur s’il avait cru la parole de son Maître, prenant conscience de sa propre faiblesse. Les larmes versées après le chant du coq (verset 72) lui auraient été épargnées, car, avant la chute, elles se seraient répandues sur le cœur du Seigneur qui n’aurait pas manqué de les essuyer. Il en est de même pour nous lorsque la tentation se présente. Le Seigneur sait que nous risquons de succomber et il nous en avertit par son Esprit. Si nous en tenons compte et crions à lui avec foi, confiance et humilité, son secours nous est assuré. Mais si nous sommes sûrs de nous-mêmes, le Seigneur est contraint de nous laisser faire une amère expérience, comme Ézéchias en son temps, dont il est dit que Dieu l’abandonna pour l’éprouver, afin qu’il connût ce qui était dans son cœur2 Chroniques 32. 31.
Dans cette circonstance, Pierre n’est pas seul à proclamer son assurance ; tous les disciples font écho à ses paroles. Leur amour pour leur Maître ne peut être mis en doute, mais nul n’avait, par lui-même, la capacité de suivre Jésus jusqu’au bout. Plus tard, après avoir reçu le Saint Esprit, ils seront remplis de ferveur et de hardiesse pour rendre témoignage à l’amour de leur Sauveur, même au prix de leur vie. Ils ne parleront pas tant de leur amour pour Jésus, mais bien plutôt de l’amour de Jésus pour eux. Et c’est cela qui caractérise un vrai témoignage : l’amour dont notre Sauveur nous a aimés. Plus nous en serons occupés, plus aussi nous pourrons lui demeurer fidèles.