On est surpris de trouver ici Jérémie parmi les prisonniers, alors qu’il était précisé plus haut que les Chaldéens lui avaient rendu la liberté (39. 14). On peut penser qu’il avait été repris par mégarde (il s’agirait alors d’une nouvelle épreuve pour Jérémie, voulue par Dieu) ou qu’il s’était volontairement joint aux prisonniers. Toujours est-il que, lié de chaînes, il fait partie de ce lugubre cortège jusqu’à Rama. Là, il est relâché1.
Nebuzaradan lui déclare d’abord : “Vous avez péché contre l’Éternel, et vous n’avez pas écouté sa voix ; et cette chose vous est arrivée”. De telles paroles sont surprenantes dans la bouche d’un païen, mais elles sont justes. Les Assyriens, d’ailleurs, étaient attentifs aux convictions religieuses des peuples qu’ils combattaient, et ils s’en servaient pour joindre l’arme psychologique aux armes classiques2 Rois 18. 22, 32-35 ; Ésaïe 36. 7.
Mais le chef des gardes, qui avait reçu des instructions bienveillantes à son sujet, lui donne à faire, à soixante ans environ, un choix important :
S’il va à Babylone, il jouira des faveurs du roi ; s’il reste avec ce peuple désobéissant, il sera vraisemblablement rejeté.
“Et comme encore il ne répondait pas, Nebuzaradan lui dit : Retourne-t’en vers Guedalia… demeure avec lui au milieu du peuple, ou va partout où il sera bon à tes yeux d’aller”. Il lui donne des provisions et un présent, et puis le renvoie (verset 5). Alors Jérémie se rend chez Guedalia, et habite “avec lui parmi le peuple qui était de reste dans le pays” (verset 6), le peuple qu’il aimait !
Il nous donne ainsi une leçon de dépendance et d’amourGenèse 13. 9. Il désirait se trouver là où Dieu voulait le placer pour son service. Les fastes de Babylone ne l’attiraient nullement. Il trouve sa place, associé à ceux qui sont abaissésRomains 12. 16.
Guedalia, qui était le chef de ceux qui s’étaient rendus aux Babyloniens, avait été promu gouverneur par le roi victorieux. C’était, de la part des Chaldéens, un habile choix politique. Ils pensaient que les Juifs seraient rassurés en voyant l’administration de leur province confiée à l’un des leurs.
Quand les chefs des forces qui étaient dans la campagne l’apprennent, ils se rendent à Mitspa et là, Guedalia les exhorte à se montrer loyaux envers les Chaldéens. Il leur dit : “Habitez dans le pays et servez le roi de Babylone, et vous vous en trouverez bien” (verset 9). Puis, il les encourage à récolter le vin, les fruits d’été et l’huile, que l’Éternel, dans sa grâce, avait donnés en grande abondance (versets 10, 12). Comme les fourmis de Proverbes 30. 25, c’est un “peuple sans force”, mais qui est “béni par l’Éternel”.
Mais quand Jokhanan et les chefs des forces viennent, ils l’avertissent que Baalis, le roi des fils d’Ammon (ce vieil ennemi d’Israël) a envoyé Ismaël pour l’assassiner. Il est difficile de connaître avec certitude les raisons du complot de Baalis et d’Ismaël que Jokhanan révèle à Guedalia : jalousie d’Ismaël qui appartenait à la lignée royale de David, et prétendait gouverner ? Ambition de Baalis, roi des fils d’Ammon, qui pensait se servir d’Ismaël pour annexer le pays ?
Jokhanan cherche à convaincre Guedalia que le reste de Juda périrait avec son gouverneur. Il lui demande la permission d’aller frapper secrètement Ismaël, mais Guedalia s’y oppose avec indignation. Il agit avec beaucoup de droiture en refusant de commettre un meurtre sous prétexte d’en empêcher un autre, mais il manque de prudenceMatthieu 10. 16 en ne se tenant pas sur ses gardes à l’égard d’Ismaël. Nous ne devons pas supposer le mal1 Corinthiens 13. 5, mais la vigilance est toujours nécessaire, alors que “des loups redoutables” se présentent “en habits de brebis” Matthieu 7. 15 ; Actes 20. 28, 29.
Au septième mois, Ismaël arrive avec dix hommes chez le gouverneur. Ils mangent le pain ensemble, ce qui, selon les coutumes orientales de l’hospitalité, est la marque d’une relation étroite entre le maître de la maison et son hôte. Le crime qui suit n’en est que plus odieux. Le gouverneur, ainsi que tous les Juifs et les Chaldéens présents sont mis à mort. Ainsi personne ne pourra faire savoir ailleurs la nouvelle de ce carnage.
Le surlendemain, Ismaël vient en pleurant à la rencontre de quatre-vingts hommes venus de Sichem, de Silo et de Samarie, dans le nord du pays. Il les invite traîtreusement à venir vers Guedalia, qui était déjà mort ! Ces hommes montraient les signes extérieurs d’un grand deuil, à cause de la destruction de Jérusalem et du temple (quoique leurs incisions soient des marques de coutumes païennesDeutéronome 14. 1). A leur arrivée, Ismaël les fait tous tuer, à l’exception toutefois de dix hommes qui offrent de lui révéler où se trouvaient des trésors cachés de nourriture (verset 8).
La détermination et la cruauté d’Ismaël lui permettent d’emmener captif vers l’ennemi, tout le peuple qui restait à Mitspa. Dans un temps de grande faiblesse, grand est le danger d’être entraîné par quelque homme violent et déterminé. Mais la nouvelle de cet affreux massacre est parvenue à Jokhanan. Il part aussitôt combattre contre Ismaël et le trouve à Gabaon, non loin de Mitspa. Ceux qu’Ismaël avait amenés de force se réjouissent et font volte-face (versets 13, 14). Ismaël, le méchant, tombe par sa méchancetéProverbes 11. 5. Il s’enfuit sans être poursuivi ! Proverbes 28. 1
Avec surprise, l’on constate que Jokhanan et ceux qu’il avait délivrés, s’en vont habiter à l’hôtellerie de Kimham, qui est près de Bethléem (est-ce là que naîtra, bien plus tard, le Fils de David ?), avec l’intention avouée de se retirer en Égypte.
Ils craignaient les représailles des Chaldéens, excédés par les rebellions répétées du peuple de Juda. Mais, en Égypte, seraient-ils pour autant hors de portée de leurs ennemis ?