Historiquement, la scène présentée dans ce chapitre se place immédiatement après le chapitre 5 ; Darius avait renversé le royaume de Babylone pour s’emparer du pouvoir sur les nations.
Moralement, Daniel apparaît sous un autre caractère. Doué par Dieu d’une intelligence spirituelle extraordinaire, il avait interprété les visions ou les circonstances des grands de ce monde (chapitres 2-6). Prophète, il avait ensuite reçu de Dieu des communications concernant l’avenir des nations en rapport avec Israël (chapitres 7, 8). Maintenant, poussé par son zèle pour le sanctuaire divin, et l’amour pour son peuple, il prend la place d’intercesseur. Sa remarquable prière (versets 4-19) le rapproche d’autres hommes de foi, tels qu’EsdrasEsdras 9. 6-15 ou NéhémieNéhémie 9. 5-10. 1, qui ont su prendre aussi, en leur temps, la place d’humiliation qui convenait en face de l’état moral du peuple de Dieu.
Son amour pour Jérusalem, déjà exprimé par les psalmistes comme de sa partPsaume 122. 6, 7 ; 137. 5, 6, pousse Daniel à s’enquérir dans les écrits prophétiques de “l’accomplissement des désolations de Jérusalem” (verset 2), c’est-à-dire de la durée de l’exil de Juda à Babylone. Jérémie l’avait annoncée avec précisionJérémie 25. 11 ; 29. 10-14. La terre d’Israël devait se reposer, et jouir de ses sabbats pendant soixante-dix ansLévitique 26. 34, 35.
L’effet de cette découverte est de tourner Daniel immédiatement vers Dieu (par la prière et la supplication), dans une profonde humiliation (le jeûne, le sac et la cendre). N’est-il pas remarquable que la pensée de la délivrance imminente du peuple produise plutôt l’humiliation que la joie dans le cœur du prophète ?
Les “livres” avaient pour lui la valeur de “la parole de l’Éternel” (verset 2). Nous possédons maintenant la parole de Dieu, complète. A-t-elle pour nous la même autorité et le même effet sur nos cœurs que pour Daniel ou pour Josias, lorsque le livre de la loi avait été retrouvé dans la maison de l’Éternel2 Rois 22. 8-11 ?
La remarquable prière de Daniel se divise en trois parties :
Dans cette disposition de cœur qui plaît à DieuPsaume 34. 18 ; 51. 19 ; Ésaïe 66. 2, Daniel confesse d’abord les fautes de son peuple. Il s’identifie pleinement aux afflictions du peuple de Dieu, comme Moïse autrefoisHébreux 11. 25 ; mais maintenant, c’est pour partager la culpabilité du peuple et déclarer, sans aucune réserve, tous ses péchés. Cette attitude est d’autant plus remarquable, que l’Écriture ne souligne aucun manquement personnel dans la vie de ce fidèle serviteur de Dieu, mais plutôt sa fidélité (6. 5) et sa justice pratiqueÉzéchiel 14. 14, 20.
Daniel s’adresse à “l’Éternel”, son Dieu ; puis il fait sa confession, et supplie le “Seigneur” (Adonaï), le “Dieu grand et terrible” : c’est “El”, le Dieu fort en sainteté, celui-là même que Christ invoque aux heures de l’abandon sur la croixPsaume 22. 2.
La confession de Daniel envisage le peuple comme soumis aux ordonnances de la loi de Moïse (verset 5), et sous la responsabilité du service des prophètes lui parlant de la part de Dieu (verset 6). Il ne fait aucune allusion aux promesses inconditionnelles assurées à Abraham, pour tenter de réduire la responsabilité et la culpabilité d’Israël. Par contre, Daniel en appelle aux promesses faites par Dieu à Salomon lors de la dédicace du temple à Jérusalem1 Rois 8. 46-53 ; 2 Chroniques 6. 36-39. Il reprend presque mot pour mot la prière du roi, que Dieu s’était engagé à exaucer1 Rois 9. 3 ; 2 Chroniques 7. 14-16.
C’est ainsi que la foi s’identifie à l’état coupable du peuple pour en accepter toutes les conséquences ; en même temps, elle identifie Dieu avec le peuple qu’il aime malgré tout. Ce double aspect de l’attitude de Daniel est d’une extraordinaire beauté.
Ayant reconnu le péché des rois, des princes, des pères et de tout le peuple du pays (verset 6), Daniel justifie Dieu dans ses voies envers Juda, Jérusalem et même tout Israël. Juda (ceux qui étaient près) était à Babylone à cause de ses péchés, mais les dix tribus d’Éphraïm (ceux qui étaient loin) étaient depuis longtemps dispersées en Assyrie2 Rois 17. 18. La raison en était que tout Israël avait transgressé la loi de Dieu (verset 11). Daniel, en captivité, ne perd donc pas de vue l’unité du peuple devant Dieu. Élie avait agi selon le même principe, en bâtissant l’autel de douze pierres sur la montagne du Carmel1 Rois 18. 31, alors que les dix tribus étaient déjà plongées dans l’idolâtrie depuis longtemps.
Ainsi, une vraie confession devant Dieu de notre bas état ne doit pas se limiter à nous-mêmes et à ceux avec lesquels nous marchons ; la ruine publique de l’Église sur la terre est aussi notre fait. Que le Seigneur nous garde de l’insensibilité de cœur et de la prétention de Laodicée en face de cette ruineApocalypse 3. 17 !
Daniel confesse non seulement les faits, mais remonte aux causes qui ont amené le juste gouvernement de Dieu sur son peuple. Celui-ci n’avait pas écouté la voix de l’Éternel (verset 10) ; il avait transgressé la loi de Moïse (verset 11) ; il n’était pas revenu à l’Éternel (verset 13).
L’exécration et le serment écrits dans la loi avaient été versés sur le peuple rebelleDeutéronome 28. 45, 46. En agissant ainsi pour sa propre gloire, Dieu avait veillé sur sa parole pour l’exécuter (verset 14) Jérémie 1. 12, et il était juste en le faisant. Il ne subsiste donc aucun espoir de relèvement pour le peuple sur le seul terrain de sa responsabilité.
“Et maintenant, Seigneur” (verset 15). L’intercession suit la confession. La seule ressource à la disposition de la foi était maintenant dans la miséricorde divine, comme autrefois la grâce et la puissance souveraines de Dieu s’étaient manifestées dans la délivrance du peuple hors d’Égypte (verset 15).
Jérusalem et le peuple étaient “en opprobre” à tous ceux qui les entouraient. C’était une raison pour que Dieu détourne sa colère et sa fureur. Le même motif est invoqué par Moïse, devant le veau d’or, pour que Dieu ne détruise pas son peupleExode 32. 11-14 ; puis, par Néhémie, en face de la ruine de JérusalemNéhémie 1. 3. Dans les trois cas, Dieu se devait à lui-même de revendiquer devant ses ennemis sa gloire qui avait été ternie par l’infidélité de son peuple.
“Et maintenant, écoute, ô notre Dieu” (verset 17). La prière de Daniel se fait plus personnelle et plus ardente encore. “L’amour du Seigneur” est un motif suffisant pour rétablir le sanctuaire désolé (verset 17). Les “grandes compassions” de l’Éternel (verset 18) en sont un autre pour que Dieu soit attentif et agisse.
En résumé, la conscience de la justice de Dieu, de son amour et de ses compassions conduit Daniel à tout remettre à Dieu, “à cause de toi-même” (verset 19). Tel est le mouvement de la foi vers Dieu, son seul refuge dans tous les temps, à cause :
Daniel n’exprime aucune requête pour lui ou ses compagnons de captivité. A cette heure solennelle, toutes ses pensées se concentrent sur les intérêts de Dieu et de son peuple : son nom, sa ville, son sanctuaire, son peuple. Cette dernière expression est d’autant plus remarquable que la sentence “Lo-Ammi” (pas mon peuple) Osée 1. 9 avait déjà été décrétée sur ce peuple depuis longtemps1 ; mais, pour Daniel, il restait le peuple de Dieu.
Que le Seigneur veuille produire dans chacun de nos cœurs cet “esprit de grâce et de supplications” Zacharie 12. 10, manifesté par Daniel devant l’état du peuple de Dieu !