À plusieurs reprises, Dieu a troublé le sommeil d’un roi. AbimélecGenèse 20. 3, le pharaonGenèse 41. 1, NebucadnetsarDaniel 2. 1 ont dû expérimenter que “Dieu parle… dans un songe ou une vision de nuit” Job 33. 14, 15. Ici, par une insomnie, Dieu rappelle à Assuérus qu’il n’a pas récompensé Mardochée après le complot qu’il a déjoué. Cette omission doit être réparée au plus vite (verset 10).
On peut intituler ces versets la “Providence divine”. Elle a été définie comme “l’action mystérieuse et cachée, dans l’histoire des peuples et des individus, du Dieu omniscient et omniprésent”. Elle s’est manifestée tout au long du livre dans des détails en apparence sans signification : la beauté d’une jeune captive (2. 7), la mémoire défaillante d’un souverain ingrat (2. 23), le hasard du sort (3. 7).
Ici, au moment où l’horizon paraît bien sombre, “cette nuit-là”, la providence enchaîne selon un tempo bien minuté chaque événement : d’abord, l’insomnie inexpliquée d’Assuérus, puis, le choix d’une lecture probablement motivée par le désir de se sentir flatté au rappel des hauts faits du règne, enfin, l’impatience d’un Haman qui l’amène à se présenter le premier, au moment où le roi cherche quelqu’un – à l’insu de cet homme orgueilleux – pour honorer Mardochée.
Aujourd’hui, même si le croyant entretient une relation plus intime et plus directe avec Dieu que le peuple juif d’alors, la providence demeure : Dieu fait tout concourir – y compris les souffrances et les contrariétés – pour accomplir son but : “le bien de ceux qui [l’]aiment” Romains 8. 28.
Haman désire en finir rapidement avec Mardochée. Il se présente donc à la première heure, avant quiconque, dans la cour (verset 4a). Le roi le remarque, le fait entrer. Le dialogue s’engage sur un quiproquo. D’un côté le roi est décidé à honorer Mardochée, de l’autre Haman vient demander sa pendaison (verset 4b).
Aveuglé par son orgueil, Haman ne peut imaginer un seul instant que le désir du roi d’honorer quelqu’un puisse s’adresser à un autre que lui (verset 6b). Il propose d’organiser une tournée triomphale dans Suse (versets 8, 9) pour “celui que le roi se plaît à honorer” (versets 7, 9, 11 b).
En réalité, il espère recevoir une acclamation publique qui le désignerait devant tout le peuple comme le second, comme l’héritier à venir. En effet, le vêtement royal est le signe de l’honneur suprême. A ce titre, il était réservé au roi ou au vice-roi (verset 7). Le cheval1 est aussi celui que le roi monte (verset 8). Haman pense que son cortège évoquera ainsi la cérémonie d’intronisation royale1 Rois 1. 33. De plus, Haman, l’Agaguite, humilie la noblesse perse à travers le prince chargé de conduire le défilé (verset 9). Enfin, toute la ville de Suse va apprendre qui est le favori du roi.
Haman a perdu le sens de la mesure. L’orgueil le pousse à vouloir être plus qu’il n’est. Il commet le même péché que Satan le jour où il s’est élevé contre Dieu : “Je serai comme Dieu” Ésaïe 14. 14. Voici donc Haman arrivé tout près de l’honneur suprême. Mais Dieu en a décidé autrement et “l’oracle est sur les lèvres du roi” Proverbes 16. 10. Haman doit entendre cette parole qui le transperce : “comme tu l’as dit”, assortie d’une menace à peine voilée : “N’omets rien de tout ce que tu as dit” (verset 10). Il est condamné par ses propres parolesMatthieu 12. 37.
La cérémonie achevée, Mardochée reprend humblement son service quotidien, tandis que Haman rentre chez lui “menant deuil” : c’est le sens du mot tristePsaume 35. 14.
Haman désemparé vient chercher du secours chez lui. Ceux qui l’ont si mal conseillé la veille ne l’épargnent pas, à présent. Ils lui prédisent sa chute devant Mardochée le “Juif”. D’où tiennent-ils tout à coup cette information ? Pourquoi ne pas avoir mis Haman en garde quand il était encore temps ? La sagesse humaine est prise, une fois encore, en défaut. La vraie sagesse – celle qui vient d’en haut – ne consiste-t-elle pas à désirer, pour notre prochain, le plus noble objectif et les moyens appropriés pour l’atteindre ?
Il n’est pas laissé de temps à Haman : ni pour abattre le gibet, ni pour se repentir.
Cette nuit-là, Mardochée a été providentiellement épargné. Jésus, lui, a été exposé à l’ignominie réservée à Mardochée et a goûté, à Golgotha, la mort dans toute son amertume. Il n’était pas là pour lui-même, mais pour “tout” Hébreux 2. 9, pour que chaque pécheur repentant puisse être délivré par son triomphe sur la puissance satanique, pour que toute la création “souillée” par le péché (sur terre comme au ciel) soit purifiéeColossiens 1. 20, pour que Dieu soit glorifié.
Comme Mardochée est honoré immédiatement, Dieu honore son Fils avant que le peuple fidèle ne soit délivré. Exalté aujourd’hui à la droite de Dieu – le lieu de la gloire et de la puissance – Christ s’occupe de son peuple encore dans la souffrance, comme Mardochée le fait dans la suite du récit. Il garde sa place de serviteur, malgré tous les honneurs.