Selon l’expression fréquente dans les livres historiques : “Et aux jours de…” le lecteur est immédiatement introduit dans la cour des souverains païens de l’époque (verset 1). Le roi appelé Assuérus1 domine un vaste empire qui s’étend du Pakistan à la Nubie2 sur trois continents (l’Asie, l’Afrique et l’Europe par les Dardanelles). Avec tant de peuples différents, sans compter les intrigues entre Mèdes et Perses, il n’est pas facile pour le roi de maintenir l’unité d’un tel empire.
En place depuis trois ans, il veut affermir son autorité sur le pays. Alors iI organise à Suse, la capitale, un premier festin pour montrer aux grands ses richesses et les impressionner avant une expédition militaire contre les Grecs (versets 2-4). Un second festin rassemble le peuple (versets 5-8). Il s’agit de gagner ceux qui se trouvaient dans la ville fortifiée3. La scène se déroule vraisemblablement dans le palais d’été (verset 6). Chacun est invité à boire sans contrainte ni retenue (verset 8).
Cette atmosphère de festivités, où le vin est proposé à volonté, est mentionnée dix-neuf fois dans ce livre ! Mais l’homme n’est pas toujours capable d’user sagement de la liberté qui lui est offerte : Vasthi est victime de l’inconduite du roi, son époux (verset 10) Proverbes 31. 4, 5. Quel contraste avec l’invitation de David à Mephibosheth pour manger le pain à la table du roi2 Samuel 9. 10 ! Dans un cas, le roi cherche à étourdir ses sujets ; dans l’autre, il veut fortifier l’un d’eux par une nourriture saine.
Vasthi, la reine en titre, doit s’exposer à la vue du roi soumis à la boisson (verset 10). Elle refuse de paraître parée du diadème royal, le septième jour4, malgré l’ordre d’Assuérus (versets 11, 12). Il y a chez elle à la fois de l’insoumission et de la dignité Elle refuse de se laisser dégrader par un buveur. Le maître de l’immense empire, humilié publiquement, perd contenance (verset 12).
Les sages5 consultés persuadent le roi que le refus de la reine porte atteinte à l’organisation de l’État. Memucan pose, à partir de ce cas particulier, une question d’ordre général : “Qui exerce l’autorité dans le palais et indirectement dans le royaume ?” Par le fait de l’exemple, dit-il, la désobéissance de Vasthi introduit une brèche dans les rapports sociaux à travers tout l’empire (verset 17).
Le jugement arrêté doit être inscrit dans la loi des Mèdes et des Perses pour lui donner toute sa force, et pour que le roi lui-même ne puisse faire volte-face (verset 19) Daniel 6. 9, 13. Les mesures proposées par Memucan sont adoptées et rendues publiques (verset 20). Le roi répudie Vasthi – elle n’est plus nommée reine depuis le verset 19 – et il donne des ordres pour que l’autorité du mari soit renforcée dans la famille. Désormais, la langue utilisée doit être celle du mari et non de l’épouse (verset 22 b).
Ce chapitre sert d’introduction à tout le livre. La description, sans complaisance ni parti pris, des mœurs païennes à la cour d’Assuérus nous aide à comprendre la situation très difficile dans laquelle allaient se trouver Esther et Mardochée.
Une fois encore, la Parole est un miroir qui renvoie notre image d’homme pécheur à travers les traits d’un Assuérus. Notons sa ressemblance avec Nebucadnetsar, Hérode ou même Pilate. Désireux de flatter leurs sujets pour mieux les dominer, enclins à faire des demandes imprudentesMarc 6. 21-26, ces souverains avilissent leur entourage, puis s’inquiètent du désordre social qu’ils ont indirectement contribué à créer (verset 17) ! Cet étalage de richesses cache une grande pauvreté intérieure. La soi-disant liberté n’est qu’un leurre (verset 7).
N’est-ce pas ce qui a cours de nos jours, aussi bien dans le monde politique que dans celui du spectacle ou de la musique ?
Enfin, ce chapitre pose la question essentielle de l’autorité. L’autorité vient de Dieu qui la délègue à des êtres humains dans différents domaines. Ainsi, la soumission à l’autorité humaine est la reconnaissance de l’autorité divine supérieure. Derrière le prince, le chef d’État, le mari, le père, la mère, l’employeur, le maître qui exercent l’autorité, chaque “subordonné”, selon son statut, peut discerner le Seigneur.
Mais ce chapitre montre clairement que cette autorité déléguée peut être utilisée de façon égoïste, sans rechercher le bien de ceux auxquels elle s’adresse, et être dévoyée en tyrannie. En cela, elle n’a plus rien à voir avec l’enseignement biblique. Toutefois, on ne peut braver une autorité défaillante, sauf si elle contredit la volonté divineActes 4. 19 ; 5. 29.
Certains ont établi un parallèle entre Vasthi et la chrétienté responsable. Comme Vasthi, la chrétienté, qui a failli à sa mission, devient rapidement la femme JésabelApocalypse 2. 20. Elle a voulu jouir égoïstement des richesses accumulées sans chercher à honorer son époux. Comme Vasthi, l’Église avait été revêtue d’une grande beauté morale en témoignage à la gloire de son Seigneur. Mais elle a, dans son ensemble, perdu cette dignité. Alors, Dieu la met de côté pour renouer des relations avec l’épouse juive (ici Esther) et son peuple terrestre (verset 20), et montrer qu’il gouverne sa propre maison (verset 22) Romains 11. 16-32.
Le mot hébreu qui est traduit par “Inde” désigne le territoire baigné par l’Indus (Pakistan) plutôt que l’Inde actuelle. Quant au mot “Éthiopie” ou “Cush” en hébreu, il désigne non l’Éthiopie d’aujourd’hui, mais le nord du Soudan appelé Nubie. L’histoire profane nous apprend que les soldats nubiens combattaient dans les armées de Xerxès 1er. Les 10 000 “Immortels” trouvés à Persépolis rappellent la puissance militaire évoquée par le mot les “puissants” (1. 3).
La Nubie est un pays riche (Ésaïe 18. 1 ; 45. 14 ; Sophonie 3. 10), ses soldats valeureux (Jérémie 46. 9 ; Ésaïe 30. 4, 5). Associés à Gog avec la Perse (Ésaïe 38. 5 ; Daniel 11. 43), les Nubiens se tourneront vers Dieu lors du règne millénaire (Psaume 68. 32).