Bien des questions auraient pu ébranler la foi de Mardochée. N’aurait-il pas dû être plus discret et renoncer quelque temps à se tenir “assis à la porte du roi” ? S’il s’était courbé devant Haman, le peuple n’aurait-il pas été épargné ? Ces interrogations n’arrêtent pas Mardochée. Il comprend l’importance de l’enjeu et veut y faire face résolument avec le secours divin.
Selon l’usage dans l’Orient ancien, il déchire ses vêtements et se vêt d’un sac en signe de deuilGenèse 37. 29, 34. La cendre – ou poussière – marque son humiliation de créature devant Dieu, sa repentance et l’imploration du pardonDaniel 9. 3. Comme il est d’abord devant Dieu, il ne craint pas de montrer publiquement sa détresse afin que personne dans Suse – pas même Esther tenue à l’écart par son statut de reine – ne puisse ignorer la cruauté de Haman.
A peine informée, Esther, qui garde intacte son affection pour Mardochée, s’alarme, car tout signe extérieur de détresse est défendu en présence du roi (verset 2). Elle pense venir en aide à son protecteur en lui faisant apporter des habits nouveaux dans l’espoir de soulager sa peine. Mais cette nouvelle tenue ne peut “couvrir” l’amertume de Mardochée car elle ne remédie en rien à l’origine de sa détresse.
Informée par Hathac qu’elle avait envoyé auprès de Mardochée, Esther comprend que le peuple a été vendu pour de l’argent (verset 7, comme le Seigneur a été livré par Judas).
Esther est placée devant un choix douloureux : doit-elle révéler son identité au roi ou se “protéger” en ne la dévoilant pas ? Mais peut-elle, à l’heure de l’épreuve, se désolidariser du peuple de Dieu ? Doit-elle solliciter un entretien avec le roi ? Le faire est risqué, car, selon la coutume orientale, personne ne peut l’importuner. Or, le roi paraît se désintéresser d’elle et déjà plusieurs années s’étaient écoulées depuis le mariage (versets 10, 11 ; comp. 2. 16 et 3. 7). Si, à l’audience, le roi ne tend pas son sceptre d’or en direction d’Esther, elle est condamnée à mort (verset 11). Impossible de violer les règles du protocole royal. La loi est là dans toute sa rigueur. Elle interdit l’accès à la faveur du roi et elle tient Esther à distance. Le seul espoir pour Esther est de s’en remettre à la grâce providentielle de Dieu, caché derrière la scène.
Mardochée, quant à lui, ne doute nullement des promesses divines : avec ou sans la médiation d’Esther, le salut viendra “d’autre part” pour le peuple – allusion à peine voilée à l’intervention divine – (verset 14). Garder le silence équivaudrait à un reniementÉsaïe 62. 6, 7. Dieu peut se passer de sa servante. S’il l’utilise, c’est pour prouver au monde qu’à travers la souffrance, la faiblesse des siens, il peut atteindre son but : bénir son peuple. Haman devra constater que l’obéissance, l’humilité, la repentance et la confiance en Dieu, peuvent vaincre la violence, la haine, l’orgueil et les puissances sataniques. Aujourd’hui, bien des croyants fidèles n’ont pas honte de témoigner publiquement de leur foi, malgré les craintes en apparence légitimes qu’ils pourraient invoquer pour se taire.
La noble réponse d’Esther montre qu’elle est prête à faire le sacrifice de sa vie (verset 16b). Pour vivre, il faut d’abord mourir, mourir à soi pour sauver les autres. C’est le chemin de la foi par excellence. Abraham avait dû quitter Ur, sa parenté, Charan, Lot, Ismaël, offrir Isaac, perdre Sara et finir par ne posséder qu’un tombeau, mais il avait l’Éternel pour sa récompense.
Esther se présentera seule devant le roi, mais elle sollicite le concours spirituel de ses frères et sœurs : elle demande un jeûne collectif de trois jours, chiffre souvent employé dans l’Écriture pour établir un fait (verset 16). Mardochée, de son côté, honore la foi d’Esther en suivant scrupuleusement ce qu’elle a demandé. Cette soumission réciproque dans la crainte de Dieu est un signe de la puissance de l’EspritÉphésiens 5. 21. Elle met de côté tout esprit d’indépendance ou de supériorité.
La menace de mort qui pèse sur Mardochée évoque un autre épisode de la lutte entre Ésaü (Édom) et Jacob. Un lointain descendant d’Ésaü, Hérode le Grand, roi de Judée, Iduméen d’origine, fait massacrer les jeunes enfants de Bethléem avec l’espoir d’anéantir JésusMatthieu 2. 12-20. La question est à nouveau posée : qui pourra se rendre maître d’Édom ? Qui pourra le vaincre et délivrer le peuple ? L’épreuve de Mardochée annonce aussi les souffrances de Christ, qui, “durant les jours de sa chair [a offert] avec de grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort” Hébreux 5. 7.
Mardochée est totalement solidaire de son peuple, comme Christ le sera avec le résidu fidèle lors de la “détresse de Jacob” Jérémie 30. 7, quand toute la puissance de l’ennemi – l’Antichrist, le nouvel Haman – déferlera sur lui. Cette épreuve sans précédent révélera publiquement l’existence d’une nation que Dieu reconnaîtra comme son peuple. Privé de tout accès auprès d’un Dieu justement irrité contre lui, le “résidu” sera alors conduit à se repentir et à faire appel à la grâce de DieuJoël 2. 12, seule capable de trouver une issue à sa situation humainement sans espoirMatthieu 24. 21, 22.