Les groupements de la chrétienté actuelle peuvent être répartis en trois catégories.
Les deux premières comprennent tout ce qui prend officiellement le nom d’ “églises”. Ce sont des sociétés organisées, avec des lois et des règlements, chacune avec son clergé distinct des simples fidèles. Il en existe effectivement deux sortes.
L’Église romaine affirme être non pas une église parmi d’autres, mais l’Église, la seule, et elle monopolise le titre de catholique, c’est-à-dire universelle. Mais à des degrés divers les grandes églises orientales qui ne reconnaissent pas le pape romain ont la même revendication. En dehors sont les hérétiques : tout au plus admet-on que s’ils sont de bonne foi ils participent à l’âme de l’Église, mais on leur refuse de faire partie de son corps. Ces églises d’affirmation catholique entendent former, seules, toute l’Église chrétienne, et les égarés doivent revenir à elles. Elles affirment en effet, et ceci est capital, qu’il est nécessaire à chaque individu d’avoir recours à elles pour obtenir le salut ; l’administration de leurs sacrements communique la grâce divine et il faut pour cela un clergé investi d’un pouvoir surnaturel, qui aurait été transmis depuis les apôtres par ordination. Il n’est pas question d’exposer ici leurs doctrines, encore moins de soulever des controverses. Nous n’aurions pas beaucoup de peine à constater que cette unité si hautement affirmée recouvre en réalité une multiplicité extrême d’interprétations et de formes. Mais, par-dessus tout, relevons que l’enseignement de l’Écriture ne considère nullement l’Église comme un organisme assurant le salut, mais comme un organisme formé par des sauvés, ce qui est foncièrement différent.
Les autres églises sont des organisations religieuses qui se sont séparées des précédentes surtout depuis la Réforme protestante au 16e siècle, pour constituer des églises indépendantes, expressément partielles, distinctes au sein de la chrétienté. Qu’elles soient nationales ou non ne change rien à leur principe. Elles reconnaissent, pour la plupart, ce que l’on appelle “l’Église invisible”, bâtie par Christ et dont Dieu seul connaît tous les membres, mais elles se considèrent comme des sociétés nécessaires, établies au mieux selon les époques et les pays pour grouper des adeptes aussi nombreux que possible, les enseigner et les amener à célébrer des offices religieux. Chacune se rassemble sur la base de telle ou telle confession de foi particulière. Les fidèles sont inscrits sur des registres. On peut dire que ces églises consacrent le morcellement. Chacune vit à part, tout en reconnaissant de vrais chrétiens en dehors d’elle. Quelle que soit la vie personnelle de leurs prêtres, de leurs pasteurs ou des fidèles, vie souvent intègre, le principe ecclésiastique, celui du “système”, nie en fait l’unité de tous les chrétiens.
Les églises des deux catégories que nous venons d’évoquer, l’une prétendant à l’unité, l’autre la brisant, mêlent parfois dans leurs rangs des chrétiens véritables et de simples professants sans la vie de Dieu. Pour certains le baptême ou la “première communion” introduit effectivement dans une église déterminée.
La troisième catégorie est formée par les rassemblements, beaucoup moins nombreux, de chrétiens sortis des deux premières pour se réunir selon les enseignements de la Parole de Dieu, sans clergé ni règlements particuliers, mais au nom du Seigneur Jésus. Il est probable qu’il y en ait eu de tout temps, mais lorsque, au début du 19e siècle, l’Esprit de Dieu a soufflé pour réveiller l’Église, lui rappelant la venue prochaine de l’Époux, de nombreuses âmes ont été amenées à se poser la question : Où est l’Église dans la confusion présente ? et ont été conduites à sortir vers Christ hors de tout camp ecclésiastique.
Malheureusement là aussi Satan a été actif, et il a réussi à semer tant de trouble et amener tant de divisions que bien des âmes sincères se demandent : Que faire ? Où est le sentier ?
Et pourtant, soyons-en sûrs, il y a toujours un sentier, celui que l’œil n’a pas vu et qui n’est pas monté au cœur de l’homme, mais que Dieu prépare pour ceux qui l’aiment (1 Corinthiens 2. 9).
Que faire ? Il ne saurait être question de rebâtir l’Église du début des Actes. Cela est impossible. C’est un fait général, dans toute l’Écriture, que Dieu ne restaure pas intégralement ce que l’homme a ruiné. Il donne quelque chose de meilleur pour remplacer l’état de choses qu’il met de côté après l’avoir supporté avec la plus longue patience.
Dieu supporte encore la chrétienté, et nous avons à aller avec les ressources et les directions qu’il fournit, non à rêver d’une restauration qui contredirait l’enseignement même des apôtres, comme cela a été rappelé plus haut. D’ailleurs, il nous manquerait les éléments capitaux de cette époque : les apôtres, et les signes qui accompagnaient leur prédication (Hébreux 2. 4 ; 2 Corinthiens 12. 12). Les apôtres ont posé le fondement, ils ont accompli leur tâche, ils n’ont pas été remplacés, et il n’en a jamais été question. C’était à l’Église à être fidèle. Ainsi, certaines choses ne reviendront pas. Quand nous disons que nous nous réunissons comme les premiers chrétiens, cela ne peut pas être entièrement juste.
Mais ce que les croyants d’aujourd’hui ont à faire tout comme les premiers chrétiens, c’est d’obéir à la Parole de Dieu, celle même que les apôtres disparus depuis longtemps ont laissée après l’avoir transmise fidèlement selon l’inspiration qu’ils avaient reçue. Le fondement qu’ils ont posé est immuable et il faut nous placer sur ce fondement : sur Christ lui-même, le Christ des évangiles et des épîtres, et non sur le fondement de pensées humaines, de doctrines théologiques ou de systèmes philosophiques. “Car personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui est posé, qui est Jésus Christ” (1 Corinthiens 3. 11).
Dieu n’a pas cessé de travailler, Christ continue à bâtir, et la maison spirituelle de 1 Pierre 2. 5 continue à s’édifier dans sa perfection. Et dans le même temps, la maison visible sur la terre est toujours confiée à la responsabilité de l’homme (1 Corinthiens 3. 12). Que nous le voulions ou non, chrétiens, “nous édifions dessus”. Prenons garde “comment nous édifions”. Avec quels matériaux, quelles directions, quelles forces ? Qu’est-ce qui, de notre travail, supportera l’épreuve du feu ?
Nous découragerions-nous devant ce qui est demandé de nous ? Mais souvenons-nous que nous avons toujours à notre disposition les trois grandes ressources permanentes :
On a souvent rappelé que le prophète Aggée est venu encourager les fidèles à rebâtir la maison de l’Éternel (certes non identique au temple de Salomon, mais avec l’autel dressé sur le même emplacement) en leur disant : “Soyez forts… car je suis avec vous… La Parole… et mon Esprit demeurent au milieu de vous” (Aggée 2. 4, 5). Ils demeurent d’autant plus avec les chrétiens qui veulent obéir ! Ces présences divines sont là comme au premier jour, et ne manqueront pas tant que l’Église sera sur la terre. “Soyez forts, et bâtissez”.
En ce qui concerne le rassemblement, nous sommes exhortés à ne pas l’abandonner, “et cela d’autant plus que vous voyez le jour approcher” (Hébreux 10. 25).
Nous ne pouvons pas prétendre refaire l’Église, ou être l’Église. Mais il nous appartient d’être convaincus de ce que dans tous les temps le Seigneur a donné à l’Église, c’est-à-dire des fonctions dont il a été question plus haut et des privilèges que le Seigneur lui confère. Bien qu’elle n’ait pas rempli fidèlement la mission qui lui était confiée, elle n’a pas été relevée de cette mission : glorifier Christ, témoigner de l’unité que Christ a faite, attendre le Seigneur.
Pour qu’une réunion de deux ou trois au nom du Seigneur porte bien les traits de l’Assemblée de Dieu, il faut que chacun de ces deux ou trois soit individuellement pénétré de ce que le Seigneur demande à cet effet. Si elle ne porte pas ces signes distinctifs, pourquoi se réunir ? Mais si elle les porte, alors cette Assemblée de Dieu qui n’est plus visible dans sa totalité par la faute des hommes, sera rendue visible là où ces deux ou trois sont réunis. L’important n’est pas le nombre de gens réunis, mais les caractères de leur rassemblement. Ce n’est pas une question de quantité, mais d’esprit.
À quels caractères donc un rassemblement peut-il et doit-il être reconnu comme assemblée de Dieu ?
Il semble qu’on puisse résumer ainsi ceux qui sont indispensables :
De tels caractères ne seront maintenus que si les cœurs sont remplis de cet “amour qui procède d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère” (1 Timothée 1. 5). Ils ne sauraient être seulement extérieurs.
Ces caractères impliquent une prise de position qui ne peut manquer d’être mal comprise et mal jugée même par d’autres chrétiens. Elle n’a de valeur que si elle est dictée par l’obéissance, dans l’humilité, et dans un profond amour pour l’Église entière.
Cette position se trouve nécessairement en dehors des deux premières catégories ecclésiastiques que nous avons considérées puisque l’une prétend à tort monopoliser l’Église et que l’autre la fractionne délibérément. Or il s’agit à la fois d’exprimer l’unité de l’Église entière, et de se séparer de ce qui, pourtant, renferme encore des membres du corps de Christ.
Selon la Parole de Dieu, le principe d’un tel rassemblement est celui de l’unité du corps, et le symbole de cette unité est donné à la table du Seigneur1 (1 Corinthiens 10. 16, 17). On y participe à un seul pain, “le corps du Christ”, exprimant par là que tous les croyants, quoique plusieurs, sont un seul pain, un seul corps. Que tous soient effectivement présents ou non n’enlève rien au privilège de ceux qui sont là, le privilège de penser à tous. La table du Seigneur n’appartient pas à ceux qui l’entourent réellement, mais elle est dressée pour tous, si vraiment c’est le Seigneur qui l’a dressée. Sinon, devenue la table d’un groupement chrétien particulier, ou même d’une secte, elle serait négatrice de l’unité du corps. Tous devraient être là, et ceux qui s’y trouvent devraient ressentir douloureusement le vide des places de ceux qui ne s’y trouvent pas. Quand nous parlons d’un converti qui “demande à prendre sa place”, l’expression est très juste, alors qu’il est faux de dire que l’on fait partie de telle ou telle assemblée en entendant par là un groupe indépendant des autres assemblées locales. Nous ne mettons pas en doute que beaucoup de chrétiens jouissent de la cène comme mémorial de la mort du Seigneur en quelque communauté qu’elle soit célébrée, mais “la table du Seigneur” ne peut être dressée que sur la base de l’unité du corps de Christ, dont tous les enfants de Dieu sont membres au même titre.
Il en résulte aussi que les rassemblements formés en des lieux divers où la table du Seigneur est dressée sur ce principe sont solidaires, parce que placés dans la même “communion” du corps et du sang de Christ. Chacun est l’expression de l’assemblée locale, elle-même incluse dans la grande unité de l’Assemblée universelle. L’apôtre Paul s’adressait à l’assemblée à Corinthe, à Éphèse, en parlant comme à l’Assemblée de Dieu tout entière.
L’Assemblée est tenue de préserver la table du Seigneur de la souillure. Elle a pour cela l’autorité du Seigneur. Elle l’exerce parce qu’il est là. Et s’il n’était pas là elle ne serait pas l’Assemblée.
Alors, dira-t-on, vous prétendez être un rassemblement de gens parfaits dans la pratique ? Non, certes, hélas. Mais selon l’enseignement de 1 Corinthiens 11. 28-34, ceux qui s’approchent pour prendre la cène à la table du Seigneur sont tenus de se juger eux-mêmes. Et l’Assemblée a la responsabilité “d’ôter le vieux levain” lorsque, quelqu’un ayant négligé ce jugement individuel, un état de péché est manifesté et subsiste malgré les avertissements et la discipline fraternelle. Il ne s’agit pas d’exercer un droit quelconque à juger (quelle tristesse ce serait !), mais de rendre au Seigneur ce qui lui est dû, dans le souci de l’honneur de son nom, et celui du bien de son Assemblée.
D’autre part, le même principe de l’unité du corps qui implique que ce que l’Assemblée fait dans une localité est valable partout, empêche que l’on puisse reconnaître des rassemblements où cette discipline n’est pas observée et où un mal moral ou doctrinal est toléré expressément. Là est la source des “divisions” qui se sont produites parmi ceux qui s’étaient initialement groupés en dehors des systèmes religieux. “Un peu de levain fait lever la pâte tout entière” (Galates 5. 9). Sans doute nous manquons vite de patience et de support, nous risquons sans cesse de substituer nos vues personnelles à la pensée du Seigneur, et de laisser agir notre propre volonté ; mais le Seigneur ne saurait supporter que l’on associe au mal son nom, attaché à sa table.
Pour résumer :
Qui peut faire cela ? Qui peut réellement suffire à ces choses ? Le secret est dans des cœurs dévoués aux intérêts du Seigneur, aimant ceux qui sont à lui ; il est dans l’humilité d’esprit et la fidélité dans tous les domaines.
Ne nous étonnons pas que tout soit en déclin dans la chrétienté, dont nous faisons partie. Le Seigneur Jésus aura été le seul témoin fidèle et véritable (Apocalypse 3. 14). Ne prétendons pas être cette assemblée de Philadelphie à qui le Seigneur Jésus rend témoignage qu’elle a gardé la Parole de Dieu et n’a pas renié son nom (Apocalypse 3. 8). Mais demandons qu’il nous soit accordé l’état d’esprit et de cœur de celui à qui, si faible soit-il, le Seigneur peut parler ainsi.