Dès le début de ce livre, nous assistons à l’entretien intime entre Habakuk et son Dieu. Le prophète révèle les tourments de son cœur. Il est chargé d’une sentence ou d’un oracle qu’il a non seulement entendu mais vu. Habakuk s’écrie (verset 2) : “jusques à quand ?” C’est le cri de la foi qui a la certitude qu’un jour Dieu interviendra. Mais une foi qui a besoin d’être soutenue, éclairée. Face au mal, au péché, à l’injustice, que de fois ce même cri est monté de la terre vers Dieu. Déjà David, dans le seul psaume 13, l’exprime quatre fois. Asaph était tout autant découragé en constatant la prospérité des méchantsPsaume 73. 3, 12. Oui, pourquoi, comment, jusqu’à quand… toute cette violence, cette méchanceté, cette injustice qui restent impunies ? Et Dieu qui sait, connaît, entend et surtout peut, semble ne pas répondre.
Pas moins de quinze questions sont posées dans les trois chapitres du livre ! Le triomphe apparent du méchant sur le juste a dans tous les temps soulevé incompréhensions, troubles et sentiments d’injustice. Que dire du seul Juste parfait qui est venu parmi les hommes et que la méchanceté humaine n’a pas pu supporter (verset 4) et qu’elle a condamné dans un jugement perverti !
Face aujourd’hui aux développements d’ordre moral, économique, social ou politique, face à une société où “les fondements sont détruits” Psaume 11. 3, nous ressentons toute l’actualité des perplexités contenues dans les premiers versets de ce livre (versets 1-4). Les nombreuses citations que nous en trouvons dans le N.T. l’attestent : outre l’aspect historique ou prophétique, Dieu comme toujours veut là aussi nous parler. Et au-delà des questions, ce sont les réponses du Dieu souverain qui constituent l’oracle.
Dieu est un Dieu qui écoute et qui répond non seulement au prophète, mais aussi à nous. Sans toujours expliquer ce que l’homme ne comprendrait pasÉsaïe 55. 9. Il dévoile ici à Habakuk et à Juda que pour châtier son peuple désobéissant, il va se servir de la cruelle et puissante Babylone, celle qui ne connaît pas la peur et qui domine tout le Moyen-Orient (612 à 539 av. J.-C.). A la violence du peuple d’Israël (verset 3) répondra celle de l’envahisseur chaldéen que rien ni personne n’arrêtera.
La citation du verset 5 en Actes 13. 41 montre que le châtiment de Dieu atteindra aussi ceux qui, sous la grâce, méprisent l’Évangile. Dieu demandera des comptes à toutes ses créatures. Le chef de la nation chaldéenne (verset 11) avait grandement péché par son orgueil, sa cruauté, son idolâtrie. Mais, à un moment donné, il bascule encore plus dans le mal, ses propres forces prennent la place de Dieu. Il s’adore lui-même. Condition terrible que l’on retrouve dans la philosophie qui exalte le désir de puissance et, de manière plus subtile, cette confiance insensée que les hommes placent dans la science et la technique.
En contraste, le chrétien a conscience de sa faiblesse et peut dire à la suite de l’apôtre Paul : “Je me glorifierai donc très volontiers plutôt dans mes infirmités, afin que la puissance de Christ demeure sur moi… Quand je suis faible, alors je suis fort” 2 Corinthiens 12. 9, 10.
Que Dieu punisse son peuple et ses péchés, le prophète non seulement le comprend, mais encore l’a revendiqué (verset 2). Mais lorsque Dieu annonce que le jugement des Juifs interviendra par un peuple plus impie et plus pervers qu’eux (verset 13), l’émotion et le tourment du prophète sont à leur comble. Son incompréhension est totale, son cœur saigne pour ses compatriotes et, par anticipation, avec eux. L’existence du péché en Juda l’avait amené à défendre la sainteté et la justice de Dieu, mais jamais il n’avait envisagé un instrument de correction aussi injuste à ses yeux de la part de Dieu. Car non seulement l’orgueil sans borne des Chaldéens était alors connu, mais encore leur cruauté : ils coupaient bras, nez, oreilles, ils incendiaient tout et menaient en captivité. On comprend la réaction d’Habakuk.
Mais retenons-le, c’est certainement le point central de ce livre, au milieu même de ses réflexions humaines et de ses incompréhensions, Habakuk espère et croit en l’amour, en la fidélité et en l’éternité de celui qu’il appelle son Dieu, son Saint (verset 12). La réponse de Dieu lui a donné l’assurance que Dieu est son Dieu, son Saint, qu’il est en relation avec lui. C’est aussi le Dieu d’ancienneté, celui qui a fait les promesses et qui est fidèle. Et s’il proclame ce que Dieu est pour lui personnellement, il va plus loin encore dans ses certitudes pour son peuple et pour lui car, dit-il, “nous ne mourrons pas”. Job déjà avait cette confianceJob 13. 15. Quelle assurance, quel témoignage, quelle déclaration !
Et tout enfant de Dieu aujourd’hui peut en dire autant, si ce n’est davantage, puisqu’il sait que l’œuvre de la croix est une réalité, elle est accomplie ! C’est vraiment la foi opposée à la vue, l’assurance qui précède la réalisation, la certitude que la plus forte puissance ici-bas, c’est-à-dire la mort, ne prévaudra pas contre celui qui est le Rocher (verset 12) Matthieu 16. 18. Certes, la raison est un vrai don de Dieu, mais reconnaissons ses limites. La raison ne peut être le juge final des pensées de Dieu qui dépassent totalement ce que nous pouvons concevoir. C’est toujours la foi qui est la première. Elle éclaire la raison. Celle-ci nous permet de faire un bout de chemin vers Dieu, elle ne peut pas par contre, nous donner des convictions absolues comme celles d’Habakuk ici. La foi nous conduit donc beaucoup plus loin que la raison. Pascal l’avait compris, lui qui pouvait dire : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. C’est le cœur qui connaît Dieu et non la raison. Voilà ce qu’est la foi, Dieu sensible au cœur, non à la raison ». Si nous nous mettons humblement à l’écoute de Dieu, nous découvrons qu’il nous parle dans la Bible et qu’il propose des preuves à notre intelligence : la création, la résurrection de Jésus, les prophéties accomplies.
Quelle joie, quel bonheur de savoir que notre Dieu dirige toutes choses ! Nos bibles traduisent par “foi” des mots hébreux et grecs dont le sens est plus riche que le mot français, car ils y ajoutent la notion de confiance, de fidélité.
La vie chrétienne est jalonnée de points lumineux et de points sombres. Avançons aujourd’hui avec foi dans l’assurance d’un Dieu qui ne déçoit pas. Et ne vivons pas en disant : « je crois », tout en vivant comme si l’on ne croyait pas ! Comme Habakuk alors, nos pensées seront corrigées, remodelées par Dieu lui-même (comp. versets 3 et verset 13). Ce n’est pas en regardant au mal que nous apprenons à connaître le caractère de Dieu. C’est en apprenant à mieux connaître Dieu que nous discernerons le vrai caractère du mal.