L’atmosphère d’amour et de joie qui marque leurs relations donne toute liberté à Paul pour présenter sa demande à Philémon.
Nous pouvons obéir de deux manières :
Ici, d’une part, Paul évoque ses droits légitimes à commander (il possédait de la part du Seigneur une autorité apostolique et Philémon avait été converti par son moyen, verset 19) ; d’autre part, il met de côté sa position officielle pour se présenter tel qu’il est, un vieillard prisonnier : belle illustration de cet amour qui “ne s’enfle pas d’orgueil” 1 Corinthiens 13. 4. L’humilité de l’amour est la première qualité requise pour gagner le cœur de nos frères et pour produire chez eux des sentiments en accord avec ceux du Seigneur, qui les rendront capables d’agir comme Christ.
Paul avait probablement à l’époque à peine soixante ans ; mais il était marqué et prématurément vieilli par le labeur et le service pour son Seigneur (comp. 2 Corinthiens 11). De plus, il était en prison à cause de Jésus Christ. Comment Philémon aurait-il pu être insensible aux prières de celui qui se présente ainsi dans sa faiblesse ?
Derrière les lignes de l’apôtre, se discerne la pensée du Seigneur qui ne veut pas nous contraindre mais attend de nous un engagement de cœur et une consécration volontaire.
Paul parle ensuite d’Onésime qu’il renvoie à son maître (verset 10). Notre conversion ne nous dispense pas de nos devoirs vis-à-vis des lois du monde. Dans la mesure du possible, le nouveau converti doit réparer les torts qu’il a pu commettre avant sa conversion. Ici, il était donc selon Dieu qu’Onésime retourne vers son maître.
Par ailleurs, Paul est sous la grâce et affranchi de la loi. En renvoyant Onésime, il contrevient directement à un commandement de la loi : “Tu ne livreras point à son maître le serviteur qui se sera sauvé chez toi d’auprès de son maître ; il habitera avec toi” Deutéronome 23. 16. Cette disposition de la loi prenait en compte la méchanceté du cœur de l’homme, spécialement lorsqu’il a une position d’autoritéProverbes 26. 10, et évitait une vengeance cruelle. Mais la grâce venue en Jésus Christ a tout changé : la vie nouvelle dans le chrétien le rend capable d’agir selon cet amour qui “ne cherche pas son propre intérêt” mais qui “est plein de bonté” 1 Corinthiens 13. 5, 4. On comprend alors combien le témoignage positif de l’amour de Philémon (versets 4-7) rendait Paul tout à fait libre de renvoyer Onésime. Il a donc agi sans texte formel pour lui dicter sa conduite dans une circonstance semblable1, mais selon l’intelligence du cœur et aussi selon sa compréhension de l’autre. L’amour rend ingénieux, dit-on. On voudrait parfois transformer la Parole en code où l’on trouverait toutes les instructions pour toutes les circonstances. Or elle nous donne plutôt des principes directeurs généraux que des injonctions de détail.
Un profond attachement liait Paul et Onésime. L’apôtre était sans doute d’autant plus heureux de la conversion de cet esclave qu’il était privé par sa captivité du service actif de l’évangile. On peut mesurer la solidité du lien qui existe entre un croyant et celui qui a été amené au Seigneur par son moyen au travers de l’expression : “mon enfant”, qui revient souvent sous la plume de l’apôtre2. Cette métaphore expressive évoque tous les soins, les affections et les peines prises par un croyant pour celui ou ceux dont le Seigneur lui a confié la charge.
Pour marquer clairement le changement opéré chez Onésime, Paul fait un jeu de mots sur son nom qui signifie “utile” ou “profitable” (verset 11) : alors que cet esclave semblait bien mal porter son nom autrefois, désormais il est “utile”. Il avait déjà commencé à servir le Seigneur en étant pour Paul une joie dans sa prison.
L’apôtre aurait voulu – et il aurait pu – retenir Onésime auprès de lui afin qu’il le serve en lieu et place de Philémon, mais il laisse son ami agir selon sa conscience, sa foi et son amour. Il ne lui commande rien. Dieu ne nous contraint pas aux bonnes œuvres, mais il attend un mouvement volontaire de notre cœur2 Corinthiens 9. 6, 7.
Toutefois, Paul ne manque pas de souligner le sacrifice qu’il fait en renvoyant Onésime (verset 13). Une fois encore, il met tout en lumière et ne cache rien, même de ses propres sentiments.
Avec humilité, l’apôtre suggère une interprétation des circonstances, sans être affirmatif : “peut-être” (verset 15) Esther 4. 14 et en ayant la délicatesse de ne pas l’imposer à Philémon. Nous affirmons parfois trop vite que telle chose est arrivée dans tel but. Or nous devrions être d’autant moins affirmatifs que nous sommes impliqués dans les circonstances dont nous cherchons l’interprétation. Ultérieurement, avec du recul, la leçon nous apparaîtra plus clairement.
Par ailleurs, nous avons souvent une façon un peu personnelle et égoïste d’interpréter les événements en y cherchant notre avantage immédiat, sans examiner d’abord la question devant le Seigneur. Nous pensons parfois avoir des droits dont le Seigneur doit tenir compte ; or ce n’est pas toujours le cas…
La délicatesse de Paul transparaît aussi dans la façon dont il évoque la fuite d’Onésime : “il a été séparé de toi”. Le verbe “s’enfuir” aurait pu vexer Philémon, tandis que l’expression utilisée suggère que Dieu a permis tous ces événements pour produire du bien à la fin, tant pour le maître que pour son serviteurGenèse 45. 5.
Enfin Paul présente les nouvelles relations dans lesquelles Philémon et Onésime vont se trouver. Jusque là, elles étaient “dans la chair” : contrairement à ce qu’on imagine souvent, certains esclaves étaient l’objet d’affection de la part de leur maître et l’apôtre reconnaît ces liens qui ont encore leur place. Mais désormais s’y ajoute ce titre de “frère bien-aimé” qui évoque les liens éternels établis “dans le Seigneur” entre ceux qui sont l’objet du même amour divin. Ainsi le christianisme n’abolit pas les institutions sociales, mais il permet de les vivre dans un autre esprit et il introduit un nouvel ordre de choses dans lequel “il n’y a ni esclave, ni homme libre, car vous tous vous êtes un dans le christ Jésus” Galates 3. 28.